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Page:Lucrèce - De la nature des choses (trad. Lefèvre).djvu/27

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XXI
PRÉFACE


Par l’éternel loisir du calme insoucieux
Où vous vivez, dieux saints ! Par vos âmes sereines !
Qui de vous aurait pu, prenant en mains les rênes,
Diriger l’infini, somme des univers,
Faire à la fois tourner les cieux et les éthers,
Et verser aux sillons le feu qui les féconde ?
Qui, présent à toute heure, en tout lieu, sur le monde
Abaissant le manteau ténébreux des vapeurs,
Viendrait troubler les airs de soudaines clameurs.
Souvent pour écraser son propre autel en poudre
On fuirait aux déserts pour essayer la foudre,
Arme qui porte à faux et dont les coups, passant
À côté du pervers, abattent l’innocent ?
 

L’attaque est bien dirigée. Lucrèce redouble (VI, 386-421).


Eh ! si c’est Jupiter qui tonne, si les dieux
Lancent à leur caprice au travers des nuées
Le feu, le tremblement, les sinistres huées,
D’où vient l’impunité du crime heureux ? Pourquoi
Aux flancs troués du monstre oublié par la loi
Ne font-ils pas vomir la flamme vengeresse,
Sévère enseignement à l’humaine paresse ?
Tandis qu’enveloppé dans ce lien de mort,
L’innocent, l’homme au cœur sans reproche, se tord,
Brusquement abattu par la foudre, et proteste
Contre l’aveuglement du tourbillon céleste !…
 

L’ampleur du style accuse encore le piquant de la raillerie. Lucrèce ne croit pas aux dieux, cela est facile à voir, même sans bonne volonté. Il les fait inactifs, c’est-à-dire inutiles ; inutiles, c’est-à-dire ridicules et vides de sens. Il aurait pu les nier, mais il a mieux aimer les traîner tout le long de son livre, augmenter leur inanité de tout le travail de la substance, et les faire figurer au triomphe de la Nature des Choses.