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DE LA NATURE DES CHOSES

La terre dut se rendre à la loi nécessaire
Qui change incessamment l’aspect du monde entier.
Car un état nouveau toujours suit le premier ;
Rien ne reste semblable à soi-même ; et les choses
Ne sont qu’alternative et que métamorphoses.
Un corps fléchit sous l’âge et s’écroule en débris ;
Un autre monte et sort des ombres du mépris.
Ainsi changent le monde et l’état de la terre ;
Et, cessant de pouvoir ce qu’elle put naguère,
Elle peut ce qu’hier elle n’eût pu tenter.

Certes, la terre antique essaya d’enfanter
Des êtres singuliers, imparfaits ou complexes
(Tel est cet androgyne, étrange nœud des sexes,
Qui n’est ni l’un ni l’autre et reste entre les deux ! ),
Les uns rampant sans pieds, d’autres sans mains, sans yeux ;
Ceux-ci privés de bouche et ceux-là de visages,
Ou, de membres confus stériles assemblages,
Incapables d’agir et de se diriger,
880De saisir une proie ou de fuir un danger ;
Monstres que prodiguait la terre en sa jeunesse !
Mais en vain : la Nature en proscrivait l’espèce.
Ni pâture pour eux, ni fécondes amours.
Ils ne purent atteindre à la fleur de leurs jours.

Nous savons quel concours de causes efficaces
Exige l’union qui propage les races :
Des aliments d’abord ; ensuite des canaux
Qui filtrent dans les chairs les germes séminaux ;
Puis de certains rapports, grâce auxquels se consomme