Ainsi, même aujourd’hui, dans la plaine échappé,
Maint éléphant qu’un trait sans l’abattre a frappé,
S’enfuit en écrasant ceux qu’il devait défendre.
Mais quoi ! c’était dans l’ordre. Et j’ai peine à comprendre
Comment l’homme n’a pas prévu les maux hideux
Où devait le conduire un jeu si hasardeux.
Peut-être est-ce une erreur à la fois répandue
Sur les globes sans nombre épars dans l’étendue,
Plutôt qu’un travers propre à notre coin des cieux.
Encor l’espoir de vaincre eut-il chez nos aïeux
Moins de part à l’essai de pareils stratagèmes
Que la soif de tuer en périssant eux-mêmes.
Mal servis par le nombre et les armes, du moins
Du deuil de leurs rivaux ils succombaient témoins.
La natte apparemment précéda le tissage,
Qui vint après le fer, puisqu’il en est l’ouvrage.
Car le fer seul a pu, pour tramer un réseau,
Façonner tant d’engins délicats, le fuseau,
La navette sonore, et la marche et les lames.
Les hommes ont tissé la laine avant les femmes.
Le mâle étant créé plus fort et plus adroit,
L’essai de tous les arts lui revenait de droit.
Puis le dur laboureur, honteux d’un soin si lâche,
Aux mains de sa compagne abandonnant la tâche,
Se choisit des travaux dignes de ses efforts,
Mieux faits pour affermir son courage et son corps.
C’est de l’exemple offert par la mère Nature
Page:Lucrèce - De la nature des choses (trad. Lefèvre).djvu/305
Apparence
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
237
LIVRE CINQUIÈME