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DE LA NATURE DES CHOSES

Leur eût fait d’un déluge une goutte insensible.
Nul répit ; seulement une sombre torpeur.
Épuisés, ils gisaient. Muette de stupeur,
La médecine en deuil suivait leur agonie,
Pendant que, distendu par des nuits d’insomnie,
Dans l’orbite roulait le globe ardent des yeux.

D’autres signes de mort apparaissaient en eux :
Un grand trouble d’esprit dans l’angoisse et la crainte,
L’air hagard, la fureur en leur visage empreinte,
Le sombre froncement du sourcil, un bruit sourd
1200Qui tinte dans l’oreille émue, un souffle court
Ou bien rare et profond, le cou toujours humide
Et comme reluisant d’une sueur fluide.
Une toux rauque arrache aux gosiers essoufflés
D’affreux petits crachats, jaunâtres et salés ;
Les doigts crispent leurs nerfs, le corps tremble, et sans trêve
D’un progrès sûr, le froid victorieux s’élève
Des pieds au cœur. Enfin, vers le fatal moment,
Le nez, pincé du bout, s’amincit, comprimant
Les narines ; l’œil rentre et la tempe se creuse ;
La peau rude se glace ; une ouverture affreuse
Entre les dents grandit ; le front tendu ressort.
Et les voilà couchés dans la rigide mort !

Rarement la blancheur de la huitième aurore,
De la neuvième au plus, les éclairait encore.
Quelqu’un d’eux passait-il ce terme par hasard,
Attendu par la mort il succombait plus tard.