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LIVRE SIXIÈME

Et s’épuise. Bientôt, l’écoulement vainqueur
Occupe la poitrine et, poussant jusqu’au cœur,
Investit l’existence en son fort poursuivie ;
C’en est fait des remparts qui protégeaient la vie.
La bouche empoisonnée exhale un souffle impur,
Rance odeur de voirie et de cadavre mûr.
Les forces de l’esprit languissent ; tout succombe ;
Le corps exténué touche au seuil de la tombe.
Sur les victimes plane une anxieuse horreur ;
Puis ce sont des sanglots et des cris de terreur,
Compagnons assidus d’affres intolérables ;
Raidissant, contractant les nerfs des misérables,
Les soubresauts fréquents des muscles convulsés
Épuisent nuit et jour des corps déjà lassés.

La peau n’eût pas trahi le secret incendie ;
La main n’y constatait qu’une ardeur attiédie ;
Mais partout s’empourpraient sur le corps ulcéré
1160Des chancres sourds, pareils à ceux du feu sacré,
Calcinés en dessous par une flamme intense.
Car le feu jusqu’aux os dévorait la substance.
Au fond de l’estomac la fournaise couvait.
Le plus mince tissu, le plus léger duvet
Ne leur servait de rien contre un mal sans ressource.
Toujours au vent, au froid, dans l’eau, dans quelque source
Glacée, ils plongeaient nus leurs corps en feu. Souvent,
Inclinés sur les puits, ils tombaient en avant,
La bouche ouverte. En vain ! La soif inextinguible