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DE LA NATURE DES CHOSES

Périt-elle avec nous ? Échappe-t-elle aux vers ?
Les dieux l’engouffrent-ils dans la nuit des enfers ?
Leur loi, dit-on encor, la transmet d’être en être
Et dans les animaux la force de renaître.
Notre Ennius l’a cru, lui qui, de l’Hélicon
Sur nos bords transplantant l’arbre heureux d’Apollon,
Le premier des Latins s’en couronna la tête.
Mais n’a-t-il pas aussi, le glorieux poète,
Peint en vers éternels ce noir marais des morts,
Où les âmes n’ont pas plus d’accès que les corps ;
Où ne descend de nous qu’une apparence vide,
On ne sait quel fantôme étrangement livide ?140
C’est là qu’Homère, spectre aux lauriers toujours verts,
Apparut à ses yeux, versant des pleurs amers,
Et lui développa la nature des choses.

Donc, avant d’établir les forces et les causes
Par lesquelles tout naît sur la terre, et la loi
Qui là-haut fait marcher la lune et l’astre-roi,
Un problème profond tout d’abord nous réclame.
Sachons ce qu’est l’esprit et sachons ce qu’est l’âme,
Et comment, par la fièvre ou le sommeil trompé,
L’homme, plein de l’objet dont son œil fut frappé,
Tremble, et voit en personne et touche et croit entendre
Les morts, ceux dont la terre a dévoré la cendre.
Certe, il est malaisé d’exposer en ces vers
Les sublimes secrets par les Grecs découverts ;
Notre latin est pauvre ; et la langue rebelle,
Non moins qu’une science à mes lecteurs nouvelle,
Souvent m’imposera bien des termes nouveaux ;