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Page:Lucrèce - De la nature des choses (trad. Lefèvre).djvu/75

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LIVRE PREMIER

Un père est là, debout, morne devant l’autel ;
Les prêtres, près de lui, cachent le fer mortel ;
La foule pleure, émue à l’aspect du supplice.
La victime a compris l’horrible sacrifice ;
Elle tombe à genoux, sans couleur et sans voix.
Ah ! que lui sert alors d’avoir au roi des rois
La première donné le nom sacré de père ?
Palpitante d’horreur on l’arrache de terre,
Et les bras des guerriers l’emportent à l’autel,
Non pour l’accompagner à l’hymen solennel,
Mais pour qu’aux égorgeurs par un père livrée,
Le jour même où l’attend l’union désirée,
Chaste par l’attentat de l’infâme poignard,
Elle assure aux vaisseaux l’heureux vent du départ !

Tant la religion put conseiller de crimes !

Autre sujet pour toi de craintes légitimes :
Les poètes toujours ont rêvé tant d’horreurs ;
De quels songes, moi-même, et de quelles terreurs
Ne vais-je pas troubler ta vie et ta pensée ?
En effet, par la muse et les dieux menacée,120
Contre ce double assaut la raison lutte en vain.
Encor si de nos maux l’espoir voyait la fin !
Mais nul terme ne s’offre aux souffrances humaines,
Dès que la mort y joint l’éternité des peines ;
Nul répit, nul refuge à l’esprit inquiet.
La nature de l’âme est pour l’homme un secret ;
Naît-elle avec le corps ? ou, dans notre substance,
S’est-elle insinuée après notre naissance ?