Page:Lumbroso - Souvenirs sur Maupassant, 1905.djvu/164

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au ministère de la marine. Il exerçait ses fonctions administratives avec régularité et utilisait les nombreux loisirs qu’elles lui laissaient à rimer des poèmes. Le dimanche, il soumettait à son grand ami Gustave Flaubert ses élucubrations de la semaine.

« Ah ! les bonnes matinées, les merveilleuses le-

    Maupassant est un homme du monde, qui sait traiter ces choses sans brutalité. Une diligence chemine de Rouen au Havre, au moment de la guerre, avec autorisation des Prussiens, maîtres du pays. C’est tout un microcosme, un abrégé de la société et de ses diverses classes, que le personnel des voyageurs, si bien mis en lumière par le récit de l’écrivain. Dans la voiture une fille de mauvaise vie s’est glissée sans bruit, — car elle se sent méprisée de tous ceux qui exercent une profession avouable ou tiennent un rang honorable dans la société, c’est-à-dire de tous. C’est Boule-de-Suif. Nobles, marchands, fonctionnaires, tous causent entre eux ; et la nécessité, le rapprochement forcé aidant, des gens qui se disputeraient ail- leur, trompent l’ennui de la route en devisant comme camarades. Mais l’entente est complète aussi pour ne pas adresser la parole à Boule-de-Suif : on la tient à l’écart.

    « Le comique, pour notre écrivain sceptique, c’est de forcer tous ces gens-là à faire la cour à Boule-de-Suif à l’heure où ils auront besoin d’elle. Vous sentez tout de suite ce qu’il y a, au fond, d’antisocial, de révolutionnaire, chez notre romancier, que l’idée morale préoccupe faiblement ; mais aucun principe essentiel n’étant en jeu, il nous est permis de rire un peu avec lui et d’avouer que la situation est drôle. Je glisse sur un premier incident où la glace se rompt : on est bloqué par la neige dans une petite ville sans ressources ; et l’ingénieuse Boule-