Page:Lumbroso - Souvenirs sur Maupassant, 1905.djvu/163

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« On a joué une pièce tirée de Boule-de-Suif. Vous n’êtes pas, je suppose, sans avoir lu ce chef-d’œuvre. Il rendit Maupassant célèbre, du jour au lendemain. Vous savez dans quelles circonstances il fut composé. L’écrivain venait de quitter Rouen pour Paris, où il avait trouvé une place de surnuméraire

    figures marquantes du dix-neuvième siècle. D’abord, il a une force, que les contemporains n’apprécient pas toujours à sa valeur, mais qui est le passeport indispensable pour aller à la postérité : la forme littéraire. Cette qualité d’écrivain, jamais il ne l’a mieux montrée peut-être que dans cette nouvelle, qu’on dirait, dans son récit alerte et fin, échappée à une plume du dix-huitième siècle, et qui prendra place dans la bibliothèque des lettrés non loin de la Manon Lescaut de l’abbé Prévost.

    C’est surtout par ses nouvelles que vivra Maupassant, c’est par ses nouvelles qu’il peut plaire. Je ne dis pas que plus tard ses romans ne trouveront pas encore des lecteurs, curieux de fouiller l’âme des hommes de la fin du dix-neuvième siècle, qu’il incarna mieux que personne ; mais les livres de longue haleine de l’écrivain sont trop amers pour conquérir jamais l’âme des foules. Sans foi, sans boussole, sans idées morales arrêtées, Maupassant est trop profondément sceptique, trop cruellement désabusé pour plaire à tous dans les œuvres suivies où sa pensée se montre à fond. Il lui faut ces récits alertes, ces œuvres légères, où une raillerie aimable, un scepticisme qu’on peut croire à fleur de peau, donnent au narrateur élégant et spirituel un charme tout particulier de grâce et de désinvolture. C’est par ces qualités mêmes, c’est — qu’on me passe le mot — par ce joli ton de blague parisienne, que Boule-de-Suif est un chef-d’œuvre.

    « On se rappelle la donnée, un tantinet risquée ; mais