Page:Lumbroso - Souvenirs sur Maupassant, 1905.djvu/167

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tu t’en pénétreras et tu consigneras fidèlement les sensations de tout ordre qu’il aura suggérées à ton imagination. Vite à l’ouvrage ! et soigne ton pipelet ! Que je le reconnaisse si jamais je le rencontre.

« Guy se soumettait docilement à cette discipline. Il observait à la lettre les instructions de son maître et lui remettait la page sur laquelle il avait peiné. Flaubert l’examinait à la loupe, pour ainsi dire. Un physicien dans son laboratoire n’eût pas été plus attentif.

« — Mon fils, tu vas me couper ces épithètes... Et ce verbe ? Que vient faire ici ce verbe ?

« Il se fâchait lorsque deux phrases se suivant avaient le même destin et le même rythme. Pas une bagatelle n’échappait à sa critique méticuleuse. Le futur romancier en tirait un réel profit. Il apprenait à cette excellente école l’art d’écrire sans emphase et sans afféterie. Les avis de Flaubert contribuèrent à donner à son style cette plénitude et cette odeur de santé qui sont si remarquables chez Maupassant et lui assurent une place parmi les classiques.

« Pendant six ans, il besogna à l’ombre des cartons verts, multipliant les essais et les gardant inédits, car il n’osait encourir les foudres de Flaubert, qui lui avait défendu de rien publier. Quelquefois seulement, il glissait des vers, en se cachant sous le pseudonyme de Guy de Valmont, dans un petit journal de théâtre. Et il ne souffrait pas de cette longue attente où Flaubert l’obligeait à languir. Il montrait une patience que n’auraient pas les débutants d’aujourd’hui, avides d’argent, pressés de conquérir la renommée.