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son excellente mère. « Vous n’imaginez pas quel gentil enfant il était à cette époque ! Il avait l’air d’un poulain échappé ». Mme de Maupassant aurait pu le conduire assez loin dans ses études. Elle avait reçu, à côté de Gustave Flaubert qui était son compagnon de jeux et qu’elle considérait comme son frère, une solide culture. Elle aimait les belles-lettres et tenait à ce que Guy en prît aussi le goût. Elle l’arracha à ses galets, à ses poissons, et l’envoya à Yvetot dans une institution religieuse. Il s’y trouva d’abord très malheureux et s’ingénia à tomber malade pour obtenir des congés supplémentaires. À peine était-il revenu à Étretat qu’il recouvrait la santé. La ruse fut éventée. Alors, il se consola en composant des vers. Et dans le nombre, il en fit quelques-uns qui ne manquent pas de grâce et qui trahissent une étonnante précocité.

— Je juge à leur valeur ces productions d’écolier, me ditMme de Maupassant. Et pourtant je vous assure qu’il y a, là-dedans, des qualités de poète. Tenez, voici une courte pièce intitulée La Vie. N’est-il pas étrange qu’elle ait pu être écrite par un gamin de treize ans ?

Mme de Maupassant cherche au fond de sa mémoire et module ces vers auxquels elle donne un accent religieux :

La vie est le sillon du vaisseau qui s’éloigne,
C’est l’éphémère fleur qui croît sur la montagne,
C’est l’ombre de l’oiseau qui traverse l’éther,
C’est le cri du marin englouti par la mer...
La vie est un brouillard qui se change en lumière,
C’est l’unique moment donné pour la prière.