Page:Lumbroso - Souvenirs sur Maupassant, 1905.djvu/259

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sonnalité. Je ne poursuivrai point le dénombrement de ces ouvrages fameux. Vous les avez tous lus. Le bon Flaubert eût été fier de ce disciple qui avait hérité de ses vertus magistrales. Maupassant procède évidemment de Madame Bovary et de l’Éducation sentimentale. Le comique profond, l’épique retourné de « Bouvard et Pécuchet » apparaissent dans ses études d’employés. Il les avait longuement pratiqués au Ministère de la marine et à l’Instruction publique. Il les a dessinés avec une précision pour ainsi dire chronométrique dans l’Héritage.

« Mais il est un côté original de son génie que je ne dois pas négliger de vous signaler.

« Les écrivains de la seconde moitié du dix-huitième siècle, par un raffinement de philanthropie, s’étaient fait un idéal singulier de l’humanité inférieure : ils se sont efforcés, dans leurs histoires et dans leurs romans, d’élever au-dessus même des hommes les plus civilisés le sauvage et le nègre. Ils leur ont prêté les qualités les plus rares. Nos pères ont connu le Natchez philosophe et le Caraïbe bienfaisant. Plus tard, les romantiques ont orné les assassins et les forçats de la pourpre de leurs métaphores et tenté l’apothéose de la courtisane. Tout au rebours, les romanciers de notre temps, curieux d’étudier les êtres instinctifs, exotiques ou populaires, ont essayé de se mettre à leur niveau et de descendre jusqu’à eux, afin de les mieux pénétrer. De tous ces explorateurs de régions morales ignorées ou mal connues, nul aussi profondément que Maupassant n’aura scruté ces âmes obscures : la fille et le paysan.