Page:Lumbroso - Souvenirs sur Maupassant, 1905.djvu/279

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chez les bilieux. Mais si je pouvais un jour les expectorer, alors elles s’évaporeraient peut-être, et je ne trouverais plus rien en moi qu’un cœur léger, joyeux, qui sait ? Penser devient un tourment abominable quand toute la cervelle n’est qu’une plaie. J’ai tant de meurtrissures dans la tête que mes idées ne peuvent remuer sans me donner envie de crier : Pourquoi ? Pourquoi ? Dumas dirait que j’ai un mauvais estomac. Je crois plutôt que j’ai un pauvre cœur honteux et orgueilleux, un cœur humain, ce vieux cœur humain dont on rit, mais qui s’émeut et fait mal, et dans la tête aussi, j’ai l’âme des latins, qui est très usée. Et puis, il y a des jours où je ne pense pas comme ça, mais je souffre tout de même, car je suis de la famille des écorchés. Mais cela, je ne le dis pas, je ne le montre pas, je le dissimule même très bien, je crois. On me pense sans aucun doute un des hommes les plus indifférents du monde. Je suis sceptique, ce qui n’est pas la même chose, sceptique parce que j’ai les yeux clairs. Et mes yeux disent à mon cœur : « Cache-toi, vieux, tu es grotesque ! Et il se cache ».

« Il est possible qu’au début de sa carrière, dans l’élan de sa jeunesse robuste, ce pessimiste ait trouvé de la joie dans la seule conquête de la vérité ; mais à mesure qu’il avançait dans la vie - et n’est-ce pas avancer aussi dans la souffrance - son impassibilité perdait de sa raideur, le marbre s’amollissait peu à peu. Le narrateur alerte, intrépide des Contes de la Bécasse, finit dans le romancier troublé, pathétique, de Fort comme la Mort. Quelle que soit