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Page:Lumbroso - Souvenirs sur Maupassant, 1905.djvu/97

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pas à hésiter, d’avance mon choix est fait ». Je suis donc convaincue que durant la nuit du 1er au 2 janvier, Guy eut une heure d’absolue lucidité ; il comprit que sa raison lui échappait ; dès lors il voulut se tuer. Sa première idée fut de se servir de son revolver. Le tiroir qui le contenait, resté ouvert, en témoigna. Il fit feu, mais les balles étaient retirées et les bourres lui noircirent la tempe sans résultat. Le pistolet fut retrouvé sur son bureau. Le malheureux voyant ce genre de mort lui échapper chercha un autre moyen d’en finir. Il avisa sur sa table un coupe-papier, le prit, et tenta vainement de se trancher l’artère carotide. Le stylet glissa du cou sur le visage, y lit une entaille profonde et le sang coula ; alors Maupassant poussa de terribles hurlements de douleur. En entendant ses cris François accourut. Il comprit très vite qu’étant seul il serait impuissant à défendre son maître contre lui-même, il appela à son aide les deux marins du Bel-Ami, le yacht de Guy. Vous avez connu Bernard et Raymond ; ils adoraient Maupassant. C’est à grand’peine qu’ils parvinrent à s’emparer de lui et à le maintenir sur son lit jusqu’à l’arrivée du docteur. Ils n’y seraient parvenus que très difficilement sans la force herculéenne de Raymond.

Hélas ! mon ami, quelle misère ! N’eût-il pas mieux valu cent fois laisser mourir ce grand malheureux ? Avait-on le droit de lui imposer cette longue agonie ? Car longtemps, par intermittence, il est resté conscient de son état.

— C’est, en effet, mal aimer ceux qu’on aime que de désirer les voir se survivre physiquement.