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Nous avons cru utile de joindre aux deux études citées un article où Rosa Luxembourg définit les limites de la liberté de la critique : démocratie n’est pas synonyme d’anarchie. Là encore, le lecteur trouvera des arguments puissants, aussi valables, aujourd’hui contre les « néos » qu’il y a trente-cinq ans contre les amis d’Edouard Bernstein.

Il ne suffit pas d’affirmer et de démontrer scientifiquement une thèse. Il faut la confronter avec la réalité. Depuis que Rosa Luxembourg a écrit ces articles, ses vues sur la question d’organisation ont subi l’épreuve du feu ; Lénine eut l’occasion d’appliquer ses principes pratiquement en Russie.

Après la conquête du pouvoir, en octobre 1917, par le bloc des bolcheviks et des socialistes-révolutionnaires de gauche, les principes d’organisation léniniens furent étendus du Parti aux syndicats, au mouvement coopératif, aux soviets, à l’appareil d’État tout entier. Moins d’un an après la Révolution d’Octobre, les socialistes-révolutionnaires de gauche, alliés de la veille, eurent à subir les mêmes persécutions que les autres partis. Certes, dans cette situation trouble, où le nouveau régime à peine installé avait à faire face aux menaces les plus redoutables, à l’invasion de l’impérialisme allemand et à l’assaut des classes privilégiées déchues, des mesures de rigueur étaient inévitables. Dans sa brochure sur la Révolution russe[1], écrite en septembre 1918, Rosa Luxembourg reconnaît la légitimité des mesures de défense que prit la Révolution encerclée par ses ennemis. Mais elle s’élève contre la suppression de la démocratie, elle stigmatise la confusion des idées et des actes. S’il est inévitable et nécessaire de châtier ceux qui, par leurs actes, mettent le régime en péril, il est inconcevable et pernicieux pour la cause socialiste de vouloir triompher des idées adverses en les étouffant et en jetant en prison ceux qui les expriment. Car le socialisme ne peut être l’œuvre que d’une classe de travailleurs lucides et éclairés et les travailleurs ne peuvent acquérir ces qualités que dans la liberté, qui est toujours « la liberté de celui qui pense autrement ». « Non pas par fanatisme pour la « justice », mais parce que tout ce qu’il y a d’instructif, de salutaire et de purifiant dans la liberté politique tient à cela, et qu’elle perd son efficacité quand la « liberté » devient un privilège. »

Au cours des années, le « privilège » de la liberté n’était accordé qu’à un cercle de plus en plus restreint de personnes. La

  1. Traduite par Bracke et dont les cahiers de Spartacus ont donné la première version française complète.