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Page:Luxembourg - Réforme ou révolution ? Les lunettes anglaises. Le but final.djvu/39

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deur de l’action historique croîtra le volume de la masse engagée dans cette action ». La lutte de classe du prolétariat est la plus « profonde » de toutes les actions historiques qui se sont déroulées jusqu’à présent, elle embrasse la totalité des couches inférieures du peuple et, depuis qu’existe une société divisée en classes, c’est la première action qui corresponde à l’intérêt propre de la masse.

C’est pourquoi l’intelligence propre de la masse quant à ses tâches et moyens est pour l’action socialiste une condition historique indispensable tout comme l’inconscience de la masse fut autrefois la condition des actions des classes dominantes.

Par là, l’opposition entre les « chefs » et la majorité qui « trotte à leur suite », se trouve abolie, le rapport entre la masse et les chefs est renversé. L’unique rôle des prétendus « dirigeants » de la social-démocratie consiste à éclairer la masse sur sa mission historique. L’autorité et l’influence des « chefs » dans la démocratie socialiste ne s’accroissent que proportionnellement au travail d’éducation qu’ils accomplissent en ce sens. Autrement dit, leur prestige et leur influence n’augmentent que dans la mesure où les chefs détruisent ce qui fut jusqu’ici la base de toute fonction de dirigeants : la cécité de la masse, dans la mesure où ils se dépouillent eux-mêmes de leur qualité de chefs, dans la mesure où ils font de la masse la dirigeante, et d’eux-mêmes les organes exécutifs, de l’action consciente de la masse. La « dictature » d’un Bebel, c’est-à-dire son immense prestige et son influence, repose uniquement sur l’immense effort qu’il a accompli pour rendre la masse politiquement majeure. Et Bebel recueille les fruits de ce long effort aujourd’hui que la masse le suit avec enthousiasme, dans la mesure où il exprime, comme aujourd’hui, la volonté et la pensée de cette masse. Sans doute, la transformation de la masse en « dirigeante » sûre, consciente, lucide, la fusion rêvée par Lassalle de la science avec la classe ouvrière, n’est-elle et ne peut-elle être qu’un processus dialectique, puisque le mouvement ouvrier absorbe d’une façon ininterrompue des éléments prolétariens nouveaux ainsi que des transfuges d’autres couches sociales. Toutefois, telle est et telle demeurera la tendance dominante du mouvement socialiste : l’abolition des « dirigeants » et de la masse « dirigée » au sens bourgeois, l’abolition de ce fondement historique de toute domination de classe.

Ce serait cependant faire injure aux mânes des anciens champions bourgeois de la liberté que de vouloir les assimiler aux « chefs » des partis bourgeois aujourd’hui.

Le développement de la social-démocratie a eu des répercussions profondes sur les rapports entre masses et chefs aussi en dehors de la lutte de classe prolétarienne, dans les milieux bourgeois eux-mêmes. Le mouvement de classe de la bourgeoisie ascendante était fondé non seulement sur l’inconscience des masses populaires quant aux buts véritables de l’action engagée, mais