Page:Luzel - Cinquième rapport sur une mission en Basse-Bretagne, 1873.djvu/19

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il était un jour avec elle en voyage, elle lui fut soudainement enlevée dans un tourbillon[1]. Il se rappela la recommandation de l’aigle et se dit : « C’est le Corps sans âme qui me l’a enlevée  ! Je ne cesserai de voyager, ni de nuit ni de jour, que je ne l’aie retrouvée. » Et il se mit en route sur-le-champ. Surpris par la nuit dans une forêt, il monta sur un arbre, pour attendre le jour. Trois personnages vinrent se reposer sous le même arbre. Un d’eux avait un chapeau qui, mis d’une certaine manière, rendait invisible celui qui le portait, le second avait des guêtres avec lesquelles il pouvait faire cent lieues à chaque pas, et le troisième avait un arc avec lequel il atteignait tout ce qu’il visait. Il les avait entendus se faire ces confidences, et, quand il les vit bien endormis, il descendit tout doucement de son arbre, s’empara du chapeau, des guêtres et de l’arc, et partit alors. Il allait vite à présent. Il rencontra sur une grande lande une vieille femme qui lui demanda :

— Où vas-tu, ver de terre ?

— Je cherche le château du Corps sans âme, qui m’a enlevé ma femme, grand’mère.

— Eh bien ! tu n’en es plus bien loin ; tu le verras sans tarder sur le rivage de la mer ; mais il n’est pas facile d’y pénétrer. Tous les matins, quand le maître du château se lève, il lance du feu au loin par les trois fenêtres de sa chambre, et tout est brûlé, jusqu’aux pierres mêmes, dans les environs.

Le cadet met son chapeau de manière à n’être pas visible, et il pénètre facilement dans le château. C’était le soir. Le géant était à table, avec la princesse. Après le repas, chacun d’eux se retira dans sa chambre. Le cadet suivit sa femme dans la sienne, sans être vu, puis ayant changé de façon de mettre son chapeau, il redevint visible. Grand fut l’étonnement de sa femme de le voir auprès d’elle. Elle sut s’y prendre de manière à faire dire au géant, le lendemain matin, pendant le déjeuner, où résidait son âme.

— Il y a, dit-il, dans le bois qui entoure le château, une caverne avec une porte de fer, dont j’ai toujours la clef suspendue à mon cou par une chaîne d’or. Dans cette caverne il y a un lion, dans le lion, un loup, dans le loup, un lièvre, dans le lièvre, une colombe, et enfin dans la colombe, un œuf, et dans cet œuf est ma vie. Il faudrait tenir l’œuf, après avoir tué tous ces animaux renfermés les uns dans les autres, et me le briser sur le front, et je mourrais sur-le-champ. Mais tout cela est impossible à un homme, et je suis bien tranquille de ce côté.

  1. 1 Nos paysans bretons croient encore que dans un tourbillon, qu’ils appellent korf-c’houez, c’est-à-dire corps rempli de vent, il y a toujours un géant, et qu’il est possible de le tuer et d’arrêter ses ravages, en lui lançant adroitement une faucille ou une cognée.