Page:Luzel - Cinquième rapport sur une mission en Basse-Bretagne, 1873.djvu/32

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— Ta vie est à moi ! lui dit-il alors.

— Je demande ma revanche, répondit le prince.

— Eh bien ! soit, à demain la revanche.

Le prince va trouver la sœur de l’Aigle, les larmes aux yeux, et lui conte tout.

— Me serez-vous fidèle, lui demanda-t-elle, et je vous ferai gagner ?

— Oui, je vous serai fidèle jusqu’à la mort.

— C’est bien ! Voici comment il faudra faire : j’ai là deux grandes vessies que je peindrai en noir, de manière à les faire ressembler à deux boules, puis je les mettrai parmi les boules de mon frère et, quand vous irez jouer, vous aurez soin de prendre vos boules le premier et de choisir les deux vessies. Quand vous leur direz : « Chèvre, élève-toi en l’air et vas en Égypte, il y a sept ans que tu es ici ! » elles s’élèveront en l’air aussitôt, si haut, si haut, qu’on ne pourra les voir. Mon frère s’imaginera que ce sera vous qui les aurez lancées si haut, et, ne pouvant en faire autant, il s’avouera vaincu.

Le prince se conforma à ces instructions et l’Aigle, n’y comprenant rien, s’avoua vaincu.

— Cela fait une partie à chacun de nous, dit-il ; demain nous jouerons à un autre jeu.

Le lendemain matin, l’Aigle prit un tonneau de cinq barriques, qu’il portait facilement sur le plat de la main (car il était homme ou aigle à volonté), puis il dit au prince de prendre un autre tonneau semblable, qu’il lui montra, pour aller à la fontaine puiser de l’eau à sa mère, pour faire sa cuisine. Mais le prince, conseillé par la sœur de l’Aigle, dit :

— Bah ! apportez-moi des pelles, des pioches et une bonne civière, et laissez-là vos tonneaux.

— Pourquoi faire ? demanda l’Aigle, étonné.

— Pour apporter la fontaine ici, à la porte de la cuisine, et nous n’aurons pas besoin de nous fatiguer à aller chercher de l’eau si loin.

— Quel gaillard ! pensa l’Aigle en lui-même.

Puis il dit : — Eh bien ! restez-là, j’irai, seul, prendre de l’eau à ma mère. — Ce qu’il fit, en effet.

Le lendemain, comme la vieille disait à son fils que ce qu’ils avaient de mieux à faire pour se débarrasser du prince, c’était de le tuer et de le manger, l’Aigle répondit qu’il avait été bien traité chez lui et qu’il ne voulait pas être si dur à son égard, mais que, du reste, il allait le soumettre à d’autres épreuves d’où il aurait bien de la peine à se tirera son honneur. Et en effet, il dit au prince :

— Je veux bien vous donner ma sœur, mais il faut que vous la gagniez et que vous nous prouviez que vous êtes digne d’elle. Voilà une cognée de bois, pour abattre la grande avenue de chênes du château, et il faut que ce soit fait aujourd’hui pour le coucher du soleil.