Page:Luzel - Cinquième rapport sur une mission en Basse-Bretagne, 1873.djvu/50

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— C’est fort, dit le roi ; et après ?

— Le lendemain matin, je fus bien étonné (car ceci se passait au mois de décembre) de voir qu’il avait poussé des branches, des feuilles et même des noisettes sur le bâton de coudrier ; et quand je sortis mon âne de l’écurie, les branches continuèrent de pousser et montèrent si haut, si haut, qu’elles atteignirent jusqu’au ciel.

— Ceci est bien fort ! dit le roi, mais après ?

— Voyant cela, je me mis à grimper de branche en branche sur le coudrier, tant et tant, que j’arrivai enfin dans la lune.

— C’est bien fort, bien fort ! mais après ?

— Là je vis des vieilles femmes qui vannaient de l’avoine dépouillée de son écorce. Je me lassai bientôt à regarder ces vieilles femmes, et je voulus redescendre sur la terre. Mais mon âne était parti, et je ne retrouvai plus le coudrier par lequel j’étais monté. Comment faire ? Je me mis alors à nouer des écorces d’avoine bout à bout, afin de faire une corde pour descendre.

— C’est bien fort cela ! dit le roi ; et après ?

— Malheureusement ma corde n’était pas assez longue ; il s’en fallait de trente ou de quarante pieds, si bien que je tombai sur un rocher, la tête la première, et si rudement que ma tête s’enfonça dans la pierre jusqu’aux épaules.

— C’est bien fort, bien fort ! et après ?

— Je me démenai tant et si bien que mon corps se détacha de ma tête, qui resta enfoncée dans le rocher. Je courus aussitôt au moulin chercher un levier de fer pour retirer ma tête de la pierre.

— De plus fort en plus fort ! dit le roi ; mais après ?

— Quand je revins, un énorme loup voulait aussi extraire ma tête du rocher pour la dévorer ! Je lui appliquai un coup de mon levier de fer sur le dos, mais si fort, si fort qu’une lettre jaillit de son corps !

— Oh ! c’est on ne peut plus fort cela ! s’écria le roi ; mais qu’y avait-il aussi marqué sur cette lettre ?

— Sur cette lettre, mon roi, il était marqué, sauf votre respect, que votre père avait été jadis garçon de moulin chez mon grand-père.

— Tu en as menti, fils de p… ! s’écria aussitôt le roi, en se levant.

— Holà ! sire, j’ai gagné ! dit tranquillement le berger.

— Comment cela ? qu’as-tu gagné, insolent ?

— N’aviez-vous pas dit, mon roi, que vous donneriez volontiers la main de la princesse votre fille, au premier qui vous ferait dire : « Tu as menti, ou tu es un menteur ? »

— C’est vrai, répondit le roi, je l’ai dit. Un roi ne doit avoir qu’une parole, aussi tes fiançailles avec ma fille unique seront-elles célébrées dès demain, et les noces dans la huitaine !

Et c’est ainsi que le berger eut la fille du roi pour une seule parole.