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V


EWENN CONGAR
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IL y avait, une fois, un pauvre homme resté veuf avec un fils. Il s'appelait Ewenn Congar. Il possédait pour toute fortune deux ou trois champs, qu'il cultivait lui-même, deux vaches et un cheval. Son fils, qui avait aussi nom Ewenn, un garçon fort éveillé et intelligent, et qui courait sur ses dix ans, lui dit, un jour :

— Il faut m'envoyer à l'école, mon père.

— Mais, mon enfant, je ne le puis pas ; je suis trop pauvre, tu le sais bien.

— Vendez une des vaches.

Le père vendit une de ses deux vaches, à la prochaine foire, et, avec l'argent qu'il en reçut, il envoya son fils à l'école.

L'enfant apprenait très bien, et ses maîtres étaient contents de lui. Mais, au bout d'une année, le bonhomme dut vendre sa seconde vache, puis, un an plus tard, son cheval, pour le maintenir à l'école.

Le jeune homme, après trois ans d'école, avait appris bien des choses. C'était un véritable savant, pour son âge. Il se fit faire un habit, noir d'un côté, blanc de l'autre, et se mit à voyager, pour chercher fortune.

Il rencontra sur sa route un seigneur, bien mis, qui lui demanda :

— Où vas-tu de la sorte, mon garçon ?

— Chercher condition, Monseigneur.

— Sais-tu lire ?

— Oui, je sais lire et écrire.

— Alors, tu ne peux pas faire mon affaire. Et le seigneur continua sa route.

Mais, Congar retourna son habit, courut à travers champs et se retrouva encore sur la route, devant l'inconnu, un peu plus loin.

— Où vas-tu ainsi, mon garçon ? lui demanda encore le seigneur, qui ne le reconnut point.

— Chercher condition, Monseigneur.

— Sais-tu lire ?

— Hélas! je ne sais ni lire ni écrire ; mon père était trop pauvre pour m'envoyer à l'école.

— Eh bien ! monte en croupe derrière moi. Congar monta en croupe derrière l'inconnu et

ils arrivèrent bientôt à un beau château, entouré de hautes murailles. Personne ne vint les recevoir, dans la cour, où ils descendirent, et le magicien (car c'était un magicien) conduisit lui-même son cheval à l'écurie, puis il dit au jeune homme :

— Tu ne verras ici ni homme ni femme, autre que moi, mais, ne t’en inquiète pas, tu ne manqueras de rien, et tu auras cinq cents écus de gages, par an, si tu fais exactement tout ce que je te dirai.

— Que me faudra-t-il donc faire, maître ?

— J’ai dans mon château cinquante cages, avec un oiseau dans chacune, et dix chevaux, dans mon écurie, et il te faudra prendre soin de mes oiseaux et de mes chevaux, de manière à ce que je sois content.

— Je ferai de mon mieux.

Il lui fit voir les cages et les chevaux et dit ensuite :

— Je vais, à présent, partir en voyage, et je ne reviendrai pas avant un an et un jour.

Et le magicien partit aussitôt.

Congar, resté seul, soignait de son mieux ses oiseaux et ses chevaux. Quatre fois par jour, il trouvait la table servie, dans la salle à manger, sans jamais voir âme qui vive, et il mangeait et buvait à discrétion, après sa besogne terminée, puis, il se promenait par le château et les jardins.

Un jour, en allant de chambre en chambre, où il voyait partout des trésors et des richesses de