Page:Luzel - Contes populaires, volume 2, 1887.djvu/91

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die. On fit venir d’autres médecins, qui n'y virent pas plus clair, ou peut-être n’osèrent rien dire. Le vieux roi était fort inquiet, car il n’avait pas d’autre enfant, et il l’aimait beaucoup.

Péronic, qui connaissait bien la nature de la maladie de la princesse, se rendit chez un vieux savetier, qu’il connaissait en ville, et lui parla de la sorte :

— Si vous voulez, je vous enseignerai la manière de gagner beaucoup d’argent, sans aucun mal, et vous n’aurez plus besoin de rapiécer les vieilles savates, pour vivre ?

— Je ne demande pas mieux, répondit le savetier.

— Eh bien ! écoutez-moi et faites comme je vais vous dire. Vous vous revêtirez d’une lévite de Monsieur, avec un chapeau entouré d’un large ruban sur lequel seront écrits, en gros caractères, ces deux mots : « Maître Chirurgien ». Vous vous présenterez ainsi au palais, vous demanderez à parler au roi et lui direz que, ayant appris la maladie de sa fille, vous êtes venu de loin, et que vous vous faites fort de pouvoir la guérir. Vous demanderez une barrique d’argent pour vos honoraires, si vous réussissez, et on vous l’accordera facilement. De plus, vous ferez promettre au roi et signer même qu’il ne vous sera point fait de mal, quoi que vous puissiez dire.

Le vieux savetier suit de point en point les instructions de Péronic. Le roi signe, sans difficulté. Il se rend alors à la chambre de la princesse, tâte son pouls, examine son eau...

— Eh bien! lui demande le roi, que dites-vous ?

— Votre fille, sire, n'est pas dangereusement malade, et son mal lui sourit[1].

— Comment ! Comment !... s'écria le roi, qu'est-ce que cela veut dire ?

Et le voilà de rudoyer sa fille.

— Qui est le coupable ? lui demanda-t-il.

— Péronic, avec son merle d'or, répondit la princesse.

— Un jardinier !... Eh bien ! pour votre punition, ma fille, vous le prendrez pour époux.

Or la princesse ne demandait pas mieux.

Et voilà comment Péronic épousa la fille unique du roi de France, et devint roi lui-même, quand son beau-père mourut, ce qui ne tarda pas à arriver.


C'est là qu'il y eut alors un festin !
Il n'y manquait ni massepains ni macarons,
Ni crêpes épaisses ni crêpes fines,
Ni bouillie cuite ni bouillie non cuite,
Pâte fermentée et non fermentée.


Un homme faisait le tour de la table avec une cuiller à pot, demandant:

— Vous faut-il de la bouillie, par-là ?

On y voyait jusqu'à un cochon, cuit par un bout, vivant de l'autre.


<poem> J'étais par-là aussi, avec mon bec frais, Et, comme j'avais faim, je mordis tôt; Mais, un grand diable de cuisinier qui était là, Avec ses sabots à pointe de Saint-Malo, Me donna un coup de pied dans le derrière, Et me lança sur le haut de la montagne de Bré, Et je suis venu de là jusqu'ici, Pour vous raconter cette histoire[2].


(Conté par Marguerite Philippe, de Pluzunet (Côtes-
du-Nord). — Janvier 1868.)




  1. C'hoarzin a ra he c'hlenved out-hi, locution populaire pour donner à entendre qu'une femme est enceinte.
  2. Cette formule finale est rimée, en breton. Il doit s'y trouver une petite lacune ; ailleurs, en effet, le cochon cuit a un couteau et une fourchette en croix sur le dos, pour que chacun puisse couper, où il lui plaira, et de la moutarde dans le cul.