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table envers les pauvres, et n’essayez plus jamais de faire ce que nul autre que Dieu ne peut faire.

— Et mes soixante écus triplés ? demanda-t-il encore.

— Contentez-vous, quant à présent, de les avoir doublés, puisque vous avez eu deux parts dans le partage des trois cents écus de la dame aveugle à qui j’ai rendu la vue ; plus tard, ils pourront être triplés dans le ciel.

Porpant retourna à la maison, un peu confus, et il reconnut alors seulement que le prédicateur étranger n’était autre que le bon Dieu lui-même[1].

(Conté par Marguerite Philippe, de Pluzunet, Côtes-du-Nord.)


L’épisode du cœur mangé se retrouve aussi presque mot pour mot dans le Sac de la Ramée conte de Deulin. C’est le cœur d’un lièvre, au lieu de celui d’un agneau.

Il en est de même de l’épisode final ; seulement, au lieu de la guérison d’une fille malade de la vue, c’est un mort que saint Pierre ressuscite. La Ramée veut ressusciter le fils du duc de Brabant, qui est mort ; mais il oublie les paroles sacramentelles, et il va être pendu, quand saint Pierre arrive aussi à son secours.

  1. On peut rapprocher l’épisode de l’agneau sans cœur de Porpant d’une légende analogue que l’on trouve dans le Gesta Romanorum, ch. lxxxi, de l’édition Jannet, 1863. En voici un résumé :
    Le jardinier d’un roi surprit, une nuit, un sanglier qui ravageait son jardin, et il lui coupa l’oreille gauche et le laissa aller. L’animal revint pourtant à la charge la nuit suivante, et le jardinier lui coupa l’oreille droite et le laissa encore partir en liberté. Il revint une troisième fois, et le jardinier lui coupa la queue, « par quoy le porcel saillit et cria fort. » Il se fit pourtant prendre une quatrième fois dans le même jardin, et le jardinier le perça d’une lance, « puis le bailla au cuysinier pour habiller pour la bouche du roy. Le roy aimoit fort le cueur des bestes. Entre toutes choses, le cuysinier voyant le cueur du sanglier gras et en point, le mangea. Quand le roy fut du sanglier servi, il demanda le cueur. Les serviteurs furent au cuysinier pour avoir le cueur, mais le cuysinier dit : — Dictes au roy que le sanglier n’en avoit point, et je le prouverai par bonnes raisons. — Le roy sceut sa responce, puis le fist venir pour ouyr ses raisons. Disoit le roy : — Je ne sache beste qui n’ait cueur. Dist le cuysinier : — Sire, vous me devez ouyr : toute cogitation procède du cueur, pourquoy bien s’ensuyt que s’il n’y a point de cogitation en aucune créature, qu’il n’y a point de cueur. Ce sanglier est entré par quatre fois au veiner, et chacune fois je luy ay osté ung de ses membres. S’il eust eu un cueur, à chacusne fois n’eût-il pas cogité et pensé que s’il retournoit qu’il seroit toujours pugny ? Quand je luy couppay l’aureille premièrement, devoit-il pas penser à ne retourner plus ? Il ne l’a pas fait. Et quand je le trouvay, la seconde fois, devait-il pas penser à son aureille perdue, semblablement toutes les autres fois ? Et ainsi cecy considère que le sanglier a esté sans cogitation de ses membres perdus. Je dys, pour ma conclusion, qu’il n’a point de cueur.
    « Le roy approuva bonnes ses raisons, et évada subtillement le cuysinier. ».