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Page:Luzel - Légendes chrétiennes, volume 1, 1881.djvu/95

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que Dieu lui avait accordés, pour faire du mal à personne, il alla tout droit au paradis.

Quand il arriva à la porte, il s’écria, en voyant saint Pierre, qui vint lui ouvrir :

— Tiens ! le bonhomme au pain doux !

— Le paradis, et non le pain doux ; comprends-tu, à présent ? lui répondit le vieux portier.

Puis le bon Dieu lui-même vint le recevoir et lui dit :

— Te voilà, Jannig ? Viens avec moi, que je te fasse les honneurs de ma maison.

Et le bon Dieu l’introduisit dans son paradis, et ce fut alors seulement qu’il reconnut que les deux voyageurs qu’il avait rencontrés sur la lande, pendant qu’il y gardait ses moutons, étaient saint Pierre et le bon Dieu [1]

  1. Dans une autre version bretonne de ma collection, il est dit que Jésus-Christ, voyageant un jour avec saint Pierre et saint Jean, rencontra sur une lande un jeune pâtre qui chantait gaîment. Le voyant manger du pain d’orge, grossier et moisi, ils le prièrent de vouloir bien partager avec eux, car ils mouraient de faim.
    — Mais, leur répondit l’enfant, voyez mon pain, comme il est grossier, dur et tout moisi ; je doute que vous puissiez en manger, ce vieux-là surtout, avec ses vieillies dents (il désignait saint Pierre). J’ai une marâtre qui me traite durement ; tous les jours, elle m’envoie ici, de bon matin, pour garder ses moutons, et ne me donne pour toute nourriture que de vieilles croûtes de pain, les restes de la table de ses domestiques et dont ne veulent pas les chiens eux-mêmes.
    — N’importe ! répondirent les voyageurs, nous avons grand faim, et le pain sera bien mauvais, si nous ne le mangeons pas.
    L’enfant se dirigea alors vers un rocher voisin, dans le creux duquel il avait l’habitude de déposer sa provision de la journée, à l’abri du soleil, et quand il arriva à son garde-manger, son étonnement fut grand de le trouver rempli de pain blanc de la meilleure qualité.
    — Ma foi ! dit-il aux voyageurs, en revenant à eux, tout joyeux, je vous ai menti en disant que je n’avais que du pain noir et moisi, dont vous ne voudriez pas ; voyez, en effet, le beau pain blanc que j’ai trouvé dans mon garde-manger ! Je ne sais pas, en vérité, comment cela est arrivé.
    Et ils mangèrent tous les quatre de grand appétit. Puis, avant de se remettre en route, Jésus-Christ dit à l’enfant :
    — Je veux reconnaître le service que tu nous as rendu : fais-moi les trois demandes que tu voudras, et je te les accorderai.
    — Eh bien, dit d’abord Jannig, je demande que ma marâtre, toutes les fois que je la regarderai, se mette à péter, sans pouvoir se retenir, et cela jusqu’à ce que je cesse de la regarder.
    — Accordé, dit le bon Dieu, en souriant.
    Les deux autres demandes furent un arc et un violon doués des mêmes vertus que ceux de ce conte.
    Les situations qu’amène la première demande excitent toujours de grands rires parmi les auditeurs, d’autant plus que le conteur accompagne ordinairement son récit d’une mimique fort expressive, et que le pâtre se faisait un malin plaisir de regarder sa marâtre quand elle était en société, et même pendant là grand’-messe et les vêpres.
    M. Paul Sébillot, dans la récente publication de son très-intéressant livre : Les Contes populaires de la Haute-Bretagne, n° VII, p. 49, a aussi ce conte, sous le titre de : Les Trois dons, avec cette différence que les trois dons, qui sont les mêmes que dans notre conte, sont dus à une vieille fée, et c’est là, vraisemblablement, la forme première de la tradition, qui a été christianisée plus tard.
    L’épisode de l’aventure de la fille du roi et de l’enfant qui fait connaître son père, en lui donnant une orange, se trouve aussi dans un autre conte du recueil de M. Sébillot, Le Mariage de Jean le Diotxx, p. 140.
    La seconde partie de notre conte est altérée et se rapporte, du reste, à un autre type, qui semble être purement mythologique.