Page:Luzel - Veillées bretonnes, Mauger, 1879.djvu/11

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Il arrive souvent qu’une impression, un souvenir depuis longtemps effacés, ou plutôt assoupis, se réveillent soudain dans notre mémoire, avec une netteté et une lucidité qui nous étonnent. C’est tantôt, par exemple, un air d’opéra ou de chanson populaire, entendu dans certaines circonstances et presqu’aussitôt oublié ; tantôt un vers ou tout un passage d’un auteur classique appris sur les bancs de l’école ; d’autres fois, une date, un fait historique perdu de vue depuis de longues années, ou un paysage qu’on n’a fait qu’entrevoir, en passant, ou encore une figure, une physionomie, une parole qui nous a frappés, en son temps. Et ces impressions à distance, ces échos lointains sont ordinairement d’une précision et d’une netteté parfaites.

C’est là un fait physiologique que tout le monde a éprouvé, plus ou moins, et que l’on peut comparer à ces palimpsestes, à ces vieux parchemins où, à l’aide de réactifs chimiques, on parvient à forcer un texte ancien à se révéler et à reparaître au jour, malgré plusieurs couches successives d’autres écritures plus modernes. Je crois que les revenants, les visions et les bruits mystérieux se produisent d’une manière analogue, et ne sont que le réveil dans nos sens d’impressions déjà reçues antérieurement et que certaines circonstances, certaines dispositions physiologiques, propres à des natures ou à des situation spéciales, raniment et ressuscitent, en quelque sorte. C’est un fait purement pathologique. Ainsi s’explique comment une personne peut voir et entendre là où une autre ne voit ni entend, tout en ayant les sens de la vue et de l’ouïe aussi développés et aussi délicats l’une que l’autre. Et c’est pourquoi les personnes qui affirment avoir eu des visions surnaturelles, étant éveillées, sont presque toujours de bonne foi et ont vu ou entendu, grâce à des dispositions organiques spéciales et à ce sourcil visionnaire dont parle quelque part l’auteur de la Divine comédie. Ne nous pressons donc pas de nous moquer de la