Page:Luzel - Veillées bretonnes, Mauger, 1879.djvu/72

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conteur de la sincérité et de la conviction. Je ne suis ni peureux, ni superstitieux plus qu’il ne faut l’être ; je tâche, autant que je le puis, de trouver la raison et de me rendre compte de ce que je vois ou entends, et, si je ne comprends pas, je ne me hâte point de dire : « Cela n’est pas vrai ! mensonge ! rêve !…, etc. Je pense seulement que Dieu est tout-puissant, et que l’homme n’est qu’un habitant de la terre  !

Une fois, j’ai eu bien peur dans ma vie, et je ne crains pas de l’avouer devant Paotrik Guyon et Ann Drane, qui n’ont jamais eu et n’auront jamais peur, disent-ils. Vous allez voir s’il y avait lieu.

Il y a de cela bien quinze ans, j’avais donc quarante ans, — et, par conséquent, je ne devais pas être un enfant qui tremble en voyant son ombre. J’étais charretier à Kerèlam. Un beau soir du mois de juin, je menais mes chevaux aux champs, pour y passer la nuit. J’étais monté sur celui de devant ; les autres suivaient à la file, et je chantais le sône de Kloarec Lambol. La nuit était calme et sereine, et j’avais plaisir à entendre les échos qui répétaient et se renvoyaient mon chant. Il fallait passer par un chemin creux, profond et étroit, entouré des deux côtés d’arbres et de buissons touffus, de ronces et de chèvre-feuilles qui s’entrecroisaient et formaient au-dessus du chemin un dôme de verdure, que les rayons du soleil