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Page:Luzel - Veillées bretonnes, Mauger, 1879.djvu/78

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ou entassés au fond, les fémurs, les tibias, les humérus et les crânes blanchis et grimaçants des anciens hôtes du couvent que nous occupions. Il fallait passer à quelques pas de là pour se rendre à la chapelle, et, quand nous revenions de la prière du soir, nous y jetions souvent des regards de terreur, et craignions de voir s’allumer des lumières au fond de ces grands orbites creux, et tous ces os se relever, se mettre en mouvement et courir après nous. Plus d’une de nous fit souvent de ces rêves lugubres, dans les premiers jours de son arrivée. Puis, peu à peu, l’on s’y habituait et l’on n’y pensait plus. Cependant, un soir, nous fûmes bien forcées d’y songer.

Nous traversions, comme d’habitude, le cimetière, en revenant de la prière. Tout à coup, une de nous, tournant les yeux du côté de l’ossuaire, y voit briller des lumières, et pousse un cri et se serre contre sa voisine, en montrant du doigt le sujet de sa frayeur. Tous les yeux se portent dans cette direction, et l’on crut voir les ossements remuer et se lever, les squelettes se reconstituer et se mettre en marche vers nous, avec des gestes menaçants et du feu dans les orbites. Vous devez penser si nous eûmes peur. Comme on se serrait les unes contre les autres, comme on assiégeait les sœurs, qui avaient autant de peur que nous, comme on pleura, comme on poussa des cris d’effroi ! Nous gagnâmes les salles d’étude, les dortoirs, et nous nous blottîmes partout, sous