Page:Luzel - Veillées bretonnes, Mauger, 1879.djvu/88

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serviables tour à tour. Je me rappelai l’aventure de Guyon Mab-Maho, cet homme d’une force prodigieuse, un véritable Hercule, qui emportait les premiers prix dans toutes les luttes et aux pardons, battait tout le monde, quand il avait bu quelques chopines de trop. Il était charretier au vieux manoir de Guernaham, en Plouaret. De tout temps le manoir de Guernaham avait été en possession de son lutin familier, qui avait soin des chevaux, qui les peignait, les brossait, les lavait, renouvelait leur litière, ne les laissait jamais manquer de foin et de paille fraîche ; enfin, le domestique n’avait presque rien à faire. Aussi, dans tout le pays, on n’eût pas trouvé un attelage comme celui de Guernaham, des chevaux aussi propres, aussi gras, aussi luisants. Un soir, que Guyon arrivait du pardon de Lanvellec, ayant bu plus que de raison, il se mit à appeler le lutin à grands cris, à l’injurier et à le défier à la lutte. On n’a jamais bien su ce qui se passa ; toujours est-il que le lendemain, Guyon Mab-Maho était sur le flanc, rompu, brisé et pouvant à peine se retourner dans son lit. À tout moment, il croyait entendre le ricanement terrible du lutin, qui le faisait trembler et frissonner comme un enfant. Depuis ce jour, il ne fit que dépérir, et autant je l’avais connu brillant et fort, autant je le vis faible, amaigri et chancelant sur ses jambes. Les chevaux aussi portèrent la peine de la faute de leur conducteur, et bientôt ces