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le soir, et sont de purs chefs-d’œuvre de typographie. Quant au fond, je n’en puis rien dire, attendu qu’ils sont rédigés en un idiome totalement inconnu de moi (le Charabia, je crois), qui me semble tenir de l’espéranto et où les termes sportifs me paraissent dominer.

Autant qu’il m’est permis d’en juger, un sort matériel précaire et une situation morale humiliée sont faits aux rédacteurs des feuilles d’avis. Prolétaires intellectuels, voués à de serviles besognes et maintenus sous le contrôle de l’administration, dont la rédaction n’est qu’un service, ils essuient les dédains des garçons de bureau et gagnent tout juste de quoi ne pas mourir de soif. Car le plus clair de leur salaire passe en boissons.

Au centre de la ville, proche un monument de la préhistoire représentant un homme accoté à un pain de sucre, on m’a montré le café qu’ont accoutumé de fréquenter ces messieurs. La présence, sous cet établissement, d’un caveau qui fut un antre de troglodytes l’a fait nommer « la Caverne de la Presse ». On l’appelle aussi, je ne sais pourquoi, le Grand R. Tout diurnale qui se respecte se doit d’y rester fort avant dans la nuit. Beaucoup même y ont élu domicile et passent leur vie au Grand R.

Étranges mœurs, en vérité !…


28 septembre. — Rencontré, au hasard de mes pérégrinations à travers Herriopolis, un confrère de Quo non ascendam ? arrivé de la veille en compagnie d’un opérateur du cinéma Gatheau. Je les ai accueillis avec des démonstrations de joie. Ne sommes-nous pas, en effet, doublement compatriotes : dans l’espace et dans le temps, concitoyens et contemporains ?


1er octobre. — Ne serais-je venu en l’an 2000 que pour rejoindre la fin du monde et représenter le Quotidien à la revue universelle de la vallée de Josaphat. J’ai beau faire, ce badinage ne me rassure pas. Je suis horriblement tourmenté, il faut bien que je me l’avoue.