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on fit voter à l’immense foule des travailleurs leur propre condamnation à vivre dans ces prisons-modèles qu’ils avaient bâties de leurs mains. Ils votèrent cela avec enthousiasme, portant en triomphe les députés et se saoulant de pivois. Et, depuis lors, ils vivaient innombrables dans ces immenses caveaux où l’élite les faisait travailler grâce à divers appâts tels que les femmes et l’alcool, et au moyen de raisonnements probants tels que les fusées à mitraille et les décharges électriques qui, dans les cas de persuasion difficile, donnaient d’excellents résultats.

Tout ce peuple vivait à quatre cents pieds sous terre, ignorant des lois et des maîtres de l’heure. Mais, à cause de son instinctif besoin de chefs, il votait tout de même, nommant tous les sept ans un magistrat dont l’illusoire gouvernement et le protocole simiesque rappelaient d’une manière invincible ce qu’au temps de la comète on appelait un président de la République.

Cette manière d’enfermer la crasse populaire avait du moins un avantage : le dimanche, on ne rencontrait plus, au long des promenades et dans les lieux de plaisir, ces chasselas de travailleurs aux mains calleuses et au gros rire, dont la laideur et la vulgarité causaient à toute nature délicate un véritable malaise. L’élite du monde, en 2992, ceux qui vivaient à l’air libre, comprenait, outre les politiciens et leurs orateurs, les artistes de toutes sortes, les médecins, les possesseurs, les histrions, les scribes, les pilotes de convois aériens, les commerçants de luxe, les tenanciers de maisons de tolérance, les mastroquets et les gazetiers.

Cette élite s’esjouissait. En foule compacte elle se ruait aux délices de l’absinthe et de l’amour. Les Gardiens de l’Ordre, d’ordinaire vêtus d’uniformes noirs à boutons d’argent, étaient costumés de rouge et de jaune, afin