Page:Lyon en l an 2000.pdf/28

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 24 —

cœurs, car les cœurs faussent l’arithmétique et dérangent l’équilibre des ambitions. La Raison même, trop élastique, avait disparu. Le droit chemin — borné jadis par la morale — était tracé par les lois, et les lois, continuellement plus précises, plus étroites, n’épargnaient pas les mauvais citoyens.

Au reste, les mauvais citoyens étaient rares.

Dès son berceau, l’Etat s’emparait de l’enfant. Après examen des physiologues officiels, les infirmes, les tarés, les dégénérés, les fils d’artistes ou d’alcooliques étaient jetés au barathre. Les sains, au contraire, dès qu’on avait mesuré leurs cerveaux, sondé leurs reins, jaugé leurs facultés, étaient envoyés dans les écoles spéciales où l’on s’appliquait à les développer.

Ces écoles, merveilleusement administrées, répondaient à toutes les nécessités de la vie. Il y avait l’école des législateurs et celle des juges, où l’on enseignait l’art de diriger les hommes et de réduire les passions : un enfant de dix ans rédigeait un projet de loi ou rendait un jugement, dans les classes primaires, avec autant de facilité qu’un gamin du XIXe siècle déclinait rosa, la rose. Il y avait l’école des journalistes où l’on apprenait à réformer la syntaxe et à fabriquer des opinions. Il y avait l’école des génies où l’on cultivait, pour le bien public, les meilleurs espoirs de la nation, et l’école des médiocres, l’une des plus estimées et des plus recherchées, parce qu’elle procurait généralement à ses diplômés les plus hautes charges du gouvernement. L’école des fonctionnaires était aussi très demandée malgré qu’on imposât à tous ses élèves la prévoyante obligation d’être châtrés, car jamais l’Etat n’avait été mieux servi que par des eunuques.

Au sommet de l’échelle pédagogique se trouvaient les collèges des sciences manuelles, réservés à un petit nom-