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Alors, du sein de la foule, un cri partit :

— À Forvière !

Comme si ce mot eût exactement traduit leurs désirs obscurs, tous éclatèrent d’enthousiasme : « À Forvière ! ». Happé par des bras vigoureux, le poète fut entraîné vers la sortie du palais.

Forvière était l’acropole de la cité. Au gré des hommes, tous les dieux avaient habité, jadis, la fameuse colline, depuis ceux de l’Olympe jusqu’à ceux du Paradis. Aujourd’hui, le sanctuaire illustre de la Vierge, désaffecté, s’appelait le Temple de la Loi. Une sorte de terreur superstitieuse environnait le pieux édifice et, dans ses fêtes comme dans ses deuils, le peuple de Lion, instinctivement, tournait ses regards vers l’énorme éléphant de marbre, qui, vautré sur le sommet fatal, la panse au soleil et les jambes en prière, symbolisait la triomphante et brutale majesté des lois souveraines.

Aussitôt, une procession s’organisa. En tête marchait la victime que, respectueux de la sentence directoriale, encadraient et protégeaient des policiers. Précaution superflue, d’ailleurs, car nul ne songeait à porter la main sur elle : on lui réservait une mort plus exemplaire. Assez loin derrière, comme s’ils eussent redouté la contagion du sublime pestiféré, marchaient les Lionnais frénétiques.

Ce peuple, qui n’avait jamais passé pour bruyant et dont les colères mêmes, au cours des âges, furent toujours rigoureuses et froides, semblait agité d’une bouillante folie. Des lambeaux d’hymnes guerriers, d’imprécations parlementaires, de refrains obscènes, depuis longtemps enfouis dans les mémoires, mais rappelés soudain, par ces circonstances extravagantes, aux honneurs de l’actualité, enflaient les gorges oppressées, tordaient les bouches éperdues. C’était un concert affreux de hurlements affamés et de clameurs satisfaites, un rut gesticu-