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oiseaux et les anges de pierre frissonnaient, et leurs ailes étonnées se penchaient vers l’extraordinaire visite. Le mufle des taureaux fabuleux, aux murs des chapelles, palpitaient pour cette apocalypse restituée. Cependant, l’antechrist marchait vers sa mort.

L’autel de la Loi s’élevait au fond du chœur, entre dix colonnes de marbre rouge, et rien n’avait été changé, sauf sa consécration, depuis le crépuscule des chapelains et l’aurore des magistrats. Seulement, une statue colossale et bissexuée, mais décapitée, tenant d’une main les tables suprêmes où ces mots étaient gravés : « Droits de l’État », et, de l’autre, le fouet salutaire dominait l’autel de toute sa majestueuse hideur : c’était la Loi, la Loi magnifique, inexpressible, universelle, suffisante, implacable.

Le poète considérait l’idole sans effroi et quand il fut à ses pieds, se tournant, il embrassa d’un regard douloureux la nef immensément déserte, cet asile dérisoire où le peuple l’avait poussé et dont nulle violence humaine ne pouvait désormais l’arracher. Au fond, vers les portes solennelles, il distinguait les robes sanglantes des pontifes et les faces anxieuses et cruelles des citoyens qui se bousculaient pour mieux voir.

Alors, comme si l’esprit de la cité l’eût inspiré, comme s’il eût senti toute l’horreur de son criminel égoïsme et voulu dévouer son inévitable trépas à la juste satisfaction du génie populaire, le poète, en un geste suprême de lassitude et d’abandon, inclina son maigre corps sur l’autel.

Et là, tandis que les colombes et les séraphins un instant émus de souvenir et d’espoir, pétrifiaient à nouveau leurs ailes meurtries, tandis qu’au dehors, la conscience populaire se dégonflait irrésistiblement en un long cri de furieuse et victorieuse allégresse, le poète expira.

Ainsi mourut, en l’an 2000, à Lion, capitale de la France, et sous la protection de la Loi, le dernier adversaire du progrès.

Charles Fénestrier.