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RIENZI.

gavocciolo[1]. Va-t’en, va-t’en ; tu es encore aujourd’hui un friand morceau pour les baisers de ta maîtresse ; demain tu dégoûterais même les rats et les vers ! »

Sans répondre à cette affreuse bienvenue, Adrien, car c’était lui, poursuivit sa route. Les portes étaient toutes grandes ouvertes ; c’était le signe le plus épouvantable de tous, car on avait pris d’abord les précautions les plus jalouses contre l’entrée des étrangers dans la ville. Maintenant tout soin, toute prévoyance, toute vigilance étaient inutiles. Trois fois les neuf gardiens étaient morts tour à tour à ce poste, et les officiers chargés de désigner leurs successeurs étaient morts aussi ! Lois et police, tribunaux de santé, maisons de sûreté, la mort avait paralysé tout cela. La peste tuait l’art lui-même, la société, l’ensemble et le mécanisme de la civilisation, comme si c’étaient autant de cadavres de chair et d’os !

Ainsi muet et solitaire, l’amant poursuivait son chemin en recherche d’amour, résolu de trouver et de sauver sa fiancée, guidé (admirez ce fidèle et loyal chevalier !) à travers le désert de l’horreur par le bienfaisant espoir qu’inspire cette étrange passion, la plus noble de toutes quand elle est noble, la plus vile de toutes quand elle est vile ! Il arriva sur une place large et spacieuse, bordée de palais, rendez-vous ordinaire de la meilleure, de la plus gracieuse noblesse d’Italie. L’étranger était seul maintenant, et le piétinement de son fringant coursier avait pour ses oreilles un son lugubre et effrayant, quand juste en tournant le coin d’une rue aboutissant à cette place, il vit une femme sortir à la dérobée avec un enfant dans ses bras, tandis qu’un autre, encore en bas âge, s’attachait à sa robe. Elle tenait contre ses narines un gros bouquet (c’était le moyen imaginaire, alors à la

  1. La tumeur qui annonçait que le mal était mortel