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RAOUL DE CAMBRAI 155

fait pour lui, et courroucée de son fol entêtement, finit par le maudire : « Puisque tu veux aller revendiquer une terre où tu n'as aucun droit, et que pour moi tu ne veux pas y renoncer_, que Dieu ne te ramène pas sain et sauf ! » La malédiction une fois lancée, elle la regrette amèrement et passe ses jours dans l'angoisse ; mais l'effet n'en peut plus être arrêté, et dès lors une destinée fatale est suspendue sur la tête de Raoul. C'est ainsi, quoique avec des circonstances merveilleuses qui man- quent ici, que la mère de Méléagre, dans l'épopée grecque, voue à la mort son propre fils '.

Cependant Raoul rassemble ses hommes et entre en Verman- dois. Il arrive à l'improviste cà Origni (canton de Ribemont, arrondissement de Saint-Quentin), où les fils d'Herbert avaient fondé un monastère de femmes. Raoul, pour courroucer les adversaires qu'il hait à mort sans cependant qu'ils lui aient rien fait, donne l'ordre de planter sa tente au milieu du moutier : « Attachez mes chevaux aux colonnes % abritez mes sommiers sous les porches ; mes éperviers percheront sur les croix. Faites devant l'autel un lit où je coucherai, appuyé au crucifix ; les nonnes seront données à mes écuyers. » La desmesure s'est emparée de lui, sans doute déjà sous l'influence de la malédic- tion maternelle. Ses gens n'osent exécuter ses ordres ; son oncle lui-même, ce Guerri le Sor, que nous verrons ailleurs si violent, recule devant de tels excès. Raoul consent à retirer ses ordres; il campe dans les prés devant les palissades d'Origni, et même, après un entretien avec l'abbesse Marsent, il lui promet de respecter et le couvent et le « bourg » qui l'entoure. Mais des ribauds du camp de Raoul, ayant voulu piller, sont tués par les bourgeois ; un d'entre eux échappe et vient se plaindre à son maître, qui se lève furieux, fait armer ses hommes, brise la

��1. Dans le poème plus ancien que paraissent avoir connu l'auteur de la chronique de Waulsort et celui de la première partie du poème sur la croisade d'Albigeois, il y avait une autre scène violente entre la mère et son fils. Raoul ayant brûlé Saint-Quentin (cet épisode a disparu), sa mère lui en faisait de vifs reproches, et il s'emportait presque jusqu'à la frapper.

2. Je supplée ce vers, qui n'est pas dans le manuscrit ; le suivant parle des « sommiers » ; il ûiut bien que les « destriers » aient aussi leur place.

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