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et maladroits de l'image que nous avons sous les yeux, on peut encore entrevoir les traits simples, hardis, grandioses, l'empor- tement, la brusquerie, la passion ardente, la beauté farouche de la fresque primitive. Donnons, en ne nous attachant qu'à l'es- sentiel et en mettant en relief les lignes maîtresses de la compo- sition, trop souvent noyées ici au milieu d'insignifiants détails, une idée de ce poème, d'une si haute valeur historique.

Raoul Taillefer, comte de Cambrai, est mort, laissant sa femme Aalais, sœur du roi de France Louis (c'est Louis d'Outremer), enceinte d'un fils qui, à sa naissance, est appelé Raoul, comme son père. Le roi donne les fiefs de son beau-frère à un de ses barons, le Manceau Gibouin, en engageant sa sœur à l'épouser, et en stipulant d'ailleurs que, pour le Cambraisis propre, Gibouin n'en aura que la garde jusqu'à ce que Raoul soit d'âge '. Aalais se refuse avec indignation « h faire coucher le mcâtin dans le lit du lévrier », et reste veuve, élevant son fils avec l'aide de Guerri le Sor% comte d'Arras, frère de son mari. Devenu homme, Raoul, qui a de bonne heure été mené à la cour du roi son oncle, réclame tous les fiefs de son père. Le roi refuse, mais lui promet le premier fief qui sera vacant. Bientôt après, Herbert, comte de Vermandois, étant mort, Raoul, bien qu'Herbert laisse quatre fils déjà hommes faits, exige du roi l'investiture du Vermandois et se prépare aussitôt à l'envahir. Ici se place un des épisodes vraiment épiques du récit. Aalais, qui a tout sacrifié à son fils, l'adjure de ne pas entreprendre une guerre injuste contre les fils d'un homme qui était l'ami de son père. Raoul la renvoie dédaigneusement à « ses chambres ». Alors Aalais lui rappelle tout ce qu'elle a

��1. Rien n'est moins clair dans le poème (sans même parler des lacunes du manuscrit) que tout cet exposé. Aalais est sœur de Louis (ce qui paraît con- forme à l'histoire), et en même temps elle appartient au lignage de Lavardin, et c'est à ce titre qu'elle possède le Cambraisis. Gibouin semble, à plusieurs reprises, être mis en possession du Cambraisis, et cependant Raoul est évi- demment maître de Cambrai. Avait-il la ville et Gibouin le pays ? Guerri menace beaucoup Gibouin, et ne fait rien contre lui, etc. Il est visible que le remanieur ne comprenait pas grand'chose à tout cela.

2. Sor (français moderne satir) veut dire « blond ardent ».

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