Page:Mélanges de littérature française du moyen âge.djvu/20

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Cette action, dans la Chanson de Roland, est d’ailleurs une, simple, logique, du commencement à la fin (sauf les retouches), et les épisodes eux-mêmes ont dû pécher plutôt, dans l’œuvre telle qu’elle était primitivement, par excès de symétrie que par manque de cohésion. On pourrait en dire autant de plus d’un autre poème, si on s’attachait à l’idée plus qu’à l’exécution et surtout qu’à la forme qui nous est seule parvenue, dernier aboutissement, parfois, de bien des remaniements successifs. Mais, malgré ces réserves, le fait général n’est pas niable. Il tient en grande partie à ce que nos anciens poètes étaient esclaves de la « matière » qu’ils suivaient et qui souvent ne leur parvenait qu’altérée et déjà incohérente. Il tient surtout au peu de méditation qu’ils apportaient à leurs ouvrages, et à l’ignorance où ils étaient, ainsi que le public auquel ils s’adressaient, des conditions de leur art. Le défaut que l’on constate ici chez eux s’explique comme le reproche qu’on a toujours, et non sans raison, adressé à leur style.

On l’accuse de manquer de beauté, ou plutôt on l’accuse de ne pas exister au sens où nous l’entendons aujourd’hui, et l’accusation est en grande partie méritée. Ce style, ou si l’on veut cette absence de style, rebute dans la prose et encore plus dans les vers de beaucoup de nos vieux écrivains : ils n’ont pas étudié les secrets rapports des mots et des images qu’ils évoquent ; ils emploient au hasard ceux qui se présentent, ou s’ils recherchent tels termes ou telles alliances de termes, c’est pour des motifs enfantins de consonance ou de jeu de mots. Les disparates de tons ne les choquent pas, la platitude et la trivialité ne les offusquent pas, la banalité leur est familière, et surtout ils se complaisent presque tous dans une prolixité qui ne révèle que trop la facilité irréfléchie avec laquelle ils produisent. Le choix et la propriété de l’expression, l’art de renouveler l’énergie ou le charme d’un mot par l’emploi qu’on en fait ou la façon dont on l’encadre, la recherche des nuances, le souci de mettre dans la parole toute la pensée et de n’y rien mettre de plus, la littérature française les apprit, comme la composition, non du premier coup ni sans peine, en étudiant l’art antique et aussi l’art italien, et c’est l’absence presque complète de ces quaHtés chez la plupart de nos vieux auteurs qui aurait empêché notre époque classique, si elle les avait