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24e LE ROMAN

grand, des obscurités et des incohérences : mais il sait piquer la curiosité et entretenir l'intérêt par des procédés ingénieux, — dont il abuse parfois jusqu'à décourager cette curiosité et à lasser cet intérêt, — comme de cacher longtemps le nom d'un héros ou le sens d'une aventure. Il avait tracé avec un talent incontestable des caractères d'hommes et de femmes, et surtout il avait montré dans l'analyse des sentiments une finesse et une pénétration dont l'expression, trop souvent gâtée — surtout dans les inter- minables monologues où se traduisent des débats intimes — par de la subtilité, de l'afféterie ou de l'exagération, est parfois sin- gulièrement heureuse : il suffit de rappeler les scènes, si pleines à la fois de vérité et de malice, qui amènent Laudine, du désir de venger son mari tué par Yvain, au désir d'épouser le meur- trier. Mais ce qui fit sans doute son principal succès, et ce qui le recommande encore, plus que tout le reste, à l'attention de la postérité, c'est son style ; il « prenait le beau français à pleines mains », — comme dit, au xiii*- siècle^ Huon de Méri, — avec une élégance, une gnàce et une facilité qui ont charmé ses contemporains et provoqué l'imitation. Non pas que son style même soit sans fautes, et sansfautesgraves : il est loin d'avoir par- tout l'aisance et la clarté que je viens de louer ; il est fréquemment laborieux et gêné ; on y remarque souvent de l'obscurité ', plus souvent encore un maniérisme parfois insupportable, singu- lièrement accompagné d'une vulgarité choquante chez un écri- vain qui a de telles prétentions à la « courtoisie ». Il n'échappe pas non plus à la banalité^ à la platitude, aux formules toutes fiiites et toujours répétées, tandis que d'autre part il tombe sou- vent dans la bizarrerie et la puérilité. Mais ces défauts n'em-

��I . Il faut dire que dans un certain nombre de cas cette obscurité peut n'être pas de son fait et provenir de l'état défectueux où son texte nous est parvenu ; mais il faut reconnaître que trop souvent elle lui est réellement imputable : l'emploi embarrassé des pronoms personnels, démonstratifs et possessifs, en est une des causes les plus ordinaires, mais même en dehors de ce cas elle résulte souvent de constructions défectueuses. Le commentaire de M. Fôrster, qui a essayé d'éclaircir beaucoup de ces pas- sages obscurs et n'y a pas toujours réussi, fournit abondamment la preuve de ces défauts.

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