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CLIGÈS 253

roi Marc et d'Iseut la blonde. On s'est accordé jusqu'à présent à penser qu'il fallait entendre par là un poème où était racontée d'une façon suivie l'histoire des amours de Tristan et Iseut, et M. Fôrster a édifié là-dessus toute une théorie, qui pourrait passer pour une ingénieuse et amusante fantaisie s'il ne la soutenait avec un sérieux presque passionné. D'après lui. Chrétien était une nature profondément morale (on ne s'en douterait pas en lisant certains passages de Laiicelot), et quand il a fait des romans frivoles, c'a toujours été à contre-cœur, sur la commande d'un grand auquel il n'osait pas résister ; ces romans mêmes, il n'a pas eu le courage de les finir, et après chacun d'eux il s'est hâté d'en composer un autre qui corrigeât le mauvais effet du premier. Les deux seuls romans dont nous sachions qu'il les a écrits sur commande, le Lancelol, fait pour la comtesse de Cham- pagne, et le Perceval, £iit pour le comte de Flandre, sont pré- cisément du genre frivole (c'est contestable pour le Perceval). Eh bien 1 il a été si révolté, en travaillant au Lancelot, du sujet qu'il traitait (un amour adultère !), qu'il ne s'est pas résigné à le terminer, l'a passé à un autre, et, pour se « débarbouiller avec de l'ambroisie », s'est hâté d'écrire Yvain, poème tout entier consacré à l'amour conjugal (bien que d'après l'éditeur ce ne soit qu'un développement du thème peu édifiant de la Matrone d'Ephêsé) ' . Puis il s'est laissé imposer par le comte de Flandre le sujet de Perceval ; mais il faut croire qu'il était devenu de plus en plus austère, car dans ce roman il n'y a pas d'amour adultère, et Perceval, suivant toute apparence, devait épouser Blanchefleur -. Mais il s'agissait d'amour, c'était déjà trop : si

��1 . M. Fôrster tient à cette idée, que personne, je pense, n'a acceptée. Le sujet (ï Yvain est évidemment comment le héros gagne, perd et reconquiert l'amour de la « dame de la fontaine » ; qu'avant de l'épouser elle ait eu un mari qu'il a tué (ce qui n'a d'ailleurs aucun rapport avec le sujet du conte gré- co-latin), ce n'est qu'un épisode introductif (fort intéressant d'ailleurs en lui- même, comme l'ont montré MM. Philipot et Schofield).

2. En outre, il avait mêlé au conte de Perceval la légende du graaJ, qui, de quelque façon qu'il l'ait comprise, avait probablement déjà chez lui un cer- tain caractère religieux, et il avait fait admonester son héros sur ses négli- gences à remplir ses devoirs de chrétien.

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