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Page:Mélanges de littérature française du moyen âge.djvu/260

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256 LE ROMAN

honte m'est a raconter. On croira plus volontiers qu'il polémise contre l'œuvre d'un autre.

Dans le nombre si considérable des allusions aux amours de Tristan et Iseut, il n'y en a que deux où soit mentionné un nom d'auteur, et ce nom, le même dans les deux, est celui, non de Chrétien de Troies, mais d'un certain La Chèvre, qui nous est d'ailleurs inconnu, mais dont l'œuvre avait évidem- ment eu beaucoup de succès : l'auteur de la branche II de Renard cite parmi les poèmes en vogue de son temps ' Tristan dont^ La Chievrc fist, Oui assc:;^bckiiieNl en dist ; et pour l'auteur du prologue d'un conte dévot ' les poètes les plus estimés sont Gautier d'Arras, Chrétien, Benoit de Sainte-More, Guiot, qui avait composé des miracles de la Vierge, un certain Roger de Lisaïs que nous ne connaissons pas, et Li Kievres, qui rimer valt L'amour de Tristan et d'Isalt ^. Comment se fait-il, si Chré- tien avait composé un Tristan, et que ce Tristan, comme le veut M. Fôrster, fût la source de tous ceux qu'on a faits en français, que ce ne soit pas lui qu'on cite ? Comment se fait-il surtout que l'auteur du prologue vante Chrétien pour son CZ/o-^'^ et son Perceval et immédiatement après La Chèvre pour son Tristan}... Personne au moyen âge ne semble avoir eu la moindre idée que Chrétien eût composé un Tristan.

��1. Ce temps est sans doute antérieur au xiii^ siècle (voir Journal des Savants, 1894, p. 554 [et ci-dessous, Le Roman de Re7iart)] ; il esx vnù que nous n'avons la branche II que dans un remaniement ; mais les vers du début ont un caractère visiblement archaïque.

2. Les niss. autres que B ont changé dont en qui, leçon que M. Martin (Renart, t. II, p. 93) a eu tort de conserver : les scribes ne connaissaient plus La Chievre et ont mal compris le vers.

3. Ce conte vient d'être imprimé en entier par M. Grôber, - — qui l'avait signalé le premier dans un manuscrit de l'Arsenal, — dans le volume que les élèves et amis de M. Fôrster lui ont offert pour le vingt-cinquième anni- versaire de sa nomination à Bonn (Halle, Niemeyer, 1902). [Sur Roger de Lisaïs, cf. ci-dessus, p. 81.]

4. M. Fôrster, qui veut qu'on écarte La Chèvre de toute recherche sur Tristan, remarque seulement (p. xxii) que dans ce prologue il est nommé après Chrétien ; cela ne signifie rien : l'auteur, que je crois de la fin du xiie siècle (il ne nomme pas Raoul de Houdan), n'a évidemment cherché à mettre aucun ordre chronologique dans son énumération.

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