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262 LE ROMAN

invraisemblable. Je ne vois aucune raison pour faire remonter notre roman plus haut que 1170, en assignant Erec à 11 68 environ, le poème sur Marc et Iseut se plaçant soit avant Erec, soit entre Érec et Cligês. On a, sans raison valable, trop vieilli Chrétien, dont l'activité poétique, suscitée par les romans imités de l'antique, n'a probablement pas commencé avant 1165.

Trois poèmes de Chrétien n'ont été composés qu'après Cligès : Lancelot, Yvain et Perccval. Lancelol, ou le Conte de la charrette ', a été entrepris pour la comtesse Marie de Champagne, fille de Louis VII, qui épousa le comte Henri en 11 64 : il n'est donc pas antérieur à cette année ; mais il lui est, selon toutes proba- bilités, sensiblement postérieur. C'est la comtesse qui avait fourni à Chrétien le sujet et l'esprit {seiï) de son roman ; or ce roman est la mise en action des théories les plus raffinées de l'amour courtois, c'est-à-dire de l'adultère mondain. Il n'est pas vraisemblable qu'elle ait adopté de pareilles théories et les ait données comme thème à un poète dès lespremiers temps de son mariage, qu'elle contracta, à dix-huit ou dix-neuf ans. Il a fallu évidemment quelques années pour qu'elle se plût à de pareils jeux d'esprit (pour ne pas dire plus) et osât les afficher publique- ment^. Je crois donc qu'on a bien des chances d'être dans le vrai en plaçant la Charrette aux environs de 11 72 \ Yvain, inti- mement associé à Lancelot par les renvois qui y sont £iits à ce

��1. Les trois derniers romans de Chrétien ont ainsi des titres doubles: Lancelot ou le Cljevalier delà charrette, Yvain ou le Chevalier au lion, Perceval ou le Conte du grail. Au début, le poète ne mentionne que le second titre : c'est un moyen de piquer la curiosité.

2. C'est aussi l'opinion de M. Fôrster (Karrenritler, p. xix) ; mais alors comment peut-il reculer Cligès jusqu'à 1155?

3. Remarquez que la célèbre lettre de la comtesse de Champagne, rap- portée par André le Chapelain, dans laquelle elle déclare que l'amour ne peut exister entre époux, est datée du i^'^ mai 1175. On y trouve cette phrase (éd. Trojel, p. 1 54), qui semble viser le roman même dont elle avait donné le sujet à Chrétien : Preceptum tradit Amoris qiiod nnlla etiani conjugata régis poterit Amoris preniio coronari nisi extra conjugii fédéra ipsius Amoris niililie cernatur adjimcla.

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