Aller au contenu

Page:Mélanges de littérature française du moyen âge.djvu/295

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

CLIGÈS 291

tien, qui venait de faire connaissance avec l'histoire de la femme qui feint d'être morte pour se faire enlever, a vu là un motif qu'il pouvait arranger de la façon qu'on lui demandait'.

Voilà peut-être pourquoi c'est toujours Fénice, dans le roman, qui proteste qu'elle ne veut pas être une seconde Iseut : elle est l'écho des dames qui^ — comme le fit peu après Marie de Champagne pour LanccJot, — avaient donné à Chrétien l'es- prit de son poème. Peut-on dire que cet esprit soit la glorifica- tion de l'amour conjugal et de la vertu bourgeoise ? Pas le moins du monde. Fénice, en se soustrayant comme elle le fait à la possession légitime de son mari, manque au devoir le plus strict du mariage^ ; ce qui la révolte, ce n'est nullement d'ai- mer un autre que son mari (elle y est résolue même avant le mariage) ; c'est uniquement, aimant cet autre, d'appartenir à ce mari ; quand Cligès l'a enlevée, elle ne lui refuse rien, bien qu'elle ne soit pas sa femme. Singulière façon de glorifier la morale et le mariage ! Il y a même plus. C'est moins encore, semble-t-il, la pensée d'appartenir à deux hommes en même temps qui fait horreur à Fénice que la crainte que le monde ne l'en soupçonne. Déjà, dans le passage que je viens de citer, elle dit : « J'aimerais mieux mourir que si on parlait de notre amour comme de celui d'Iseut et de Tristan » ; plus tard, elle dit à Cli- gès (v. 5260) : « Si je vous aime et que vous m'aimiez, on ne vous appellera pas pour cela Tristan, et je ne serai pas Iseut » ; et encore (v. 5251): « Personne par mon exemple n'apprendra à faire vilenie » ; enfin, quand Cligès lui off're, — ce qui est assurément le plus raisonnable, — de l'emmener en Angleterre, elle s'y refuse absolument, parce que personne ne croirait qu'Alis ne l'a pas possédée et qu'on parlerait d'elle comme d'Iseut

��1. Quant à l'histoire des parents de Cligès, elle n'a été mise eu tête du vrai roman, on l'a déjà vu, que pour donner au poème son étendue réglementaire. Le poète ne s'est pas mis pour elle en frais d'invention et y a surtout trouvé un prétexte à ses subtils monologues d'amour.

2. Il y a quelque chose de choquant à voir Fénice, au sortir de l'église où elle a juré devant Dieu fidélité à son mari, entrer avec ce mari, dont elle a trouvé moyen de ne pas être la femme, dans le lit conjugal que viennent de « signer et bénir » des évêques et des abbés.

�� �