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Page:Mélanges de littérature française du moyen âge.djvu/31

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part trop large à la production, continuée jusqu’au temps de Charlemagne, de chants épiques en langue franque, ou du moins à l’influence qu’auraient exercée ces chants sur l’épopée romane. Les indices qu’il en signale me paraissent maintenant assez douteux. Ils sont au nombre de trois : les deux premiers avaient déjà été allégués par d’autres (et par moi-même); le troisième paraît ici, si je ne me trompe, pour la première fois : c’est l’identification du sorcier Maugis avec le nain Maldegêr de l’épopée allemande ’ ; l’auteur lui-même ne la donne que comme possible, et elle ne s’appuie que sur une bien vague ressemblance des noms. Le forgeron divin Valand est certainement le forgeron merveilleux Gualant de notre épopée ; mais celle-ci ne connaît de lui absolument que son nom et ignore tous les récits dont il est l’objet dans la poésie germanique (ou au moins Scandinave); le nom a fort bien pu pénétrer dans nos poèmes par communication orale, simplement comme celui d’un bon fabricant d’épées, indépendamment de toute tradition poétique. Quant au « petit roi de féerie » Auberon, dans Huon de Bordeaux, c’est bien certainement le roi des nains Alberich, que nous voyons figurer dans les Nibeliiiigen et jouer dans Ortnit à peu près le même rôle que dans notre poème; mais je crois qu’il était inconnu à notre épopée jusqu’à l’auteur de Huon, et que celui-ci l’a emprunté à une tradition locale qui s’était localisée dans le Hainaut, tout voisin de Saint-Omer, où sans doute il vivait -. Les Francs, en se romanisant, ont gardé le goût de la poésie épique et en ont fait naître une forme romane ; mais en même temps ils ont oublié leurs anciens poèmes, et si ceux d’entre eux qui ne s’étaient pas romanisés ont continué à produire des chants épiques dans leur langue, on n’a aucune preuve que ces chants aient agi sur l’épopée romane, et cela ne paraît pas probable. Je ne ferais d’exception que pour deux poèmes ayant un sujet historique et remontant aux plus anciens temps de l’établissement des Francs en Gaule, celui que l’on peut recon-

1. Je vois au dernier moment qu’elle avait déjà été proposée par Simrock dans sa Deutsche Mythologie.

2. Voir sur cette question Romania, t. XXIX, p. 209-218 [G. Paris, Sur Huon de Bordeaux]. — Le savant livre de M. Voretzsch, Die Sage von Huon de Bordeaux (1900), ne m’a pas fait changer d’opinion.