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Page:Mélanges de littérature française du moyen âge.djvu/40

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36 LITTÉRATURE FRANÇAISE AU MOYEN AGE

leur a servi de modèle comme à tous les troubadours qui les ont suivis ? D'autre part, Guillaume, à côté des pièces où il laisse éclater sa verve toute personnelle et emploie des formes de versification simples et même des formes populaires, en a d'autres d'une forme plus recherchée, où se trouvent déjà tous les traits conventionnels de la poésie « courtoise » ; Cercamon ne nous en a laissé que de telles, et Marcabrun, si original dans la plupart de ses compositions, nous en a laissé au moins une qui est jetée dans le même moule : fout-il croire que c'est le comte de Poitiers qui a inauguré un genre de poésie si éloi- gné de son naturel, tel qu'il se révèle dans le reste de son œuvre ? Il est bien plus probable que dans ces pièces il s'est, comme Cercamon dans les siennes et une fois au moins Mar- cabrun, soumis à une mode qu'il n'aurait certainement pas inventée et qui s'était formée en Limousin '. Cette hypothèse se rattache naturellement à celle que j'ai émise, et que M. Suchier a adoptée, d'après laquelle la poésie lyrique courtoise du moyen âge aurait sa première origine dans la poésie populaire du Poi- tou ; cette poésie populaire aurait été, dès le xi^ siècle au moins, transportée en Limousin, limitrophe du Poitou (et peut-être aussi en Auvergne), y aurait été adoptée dans des cercles sociaux particulièrement raffinés, et y aurait développé les idées et la technique qui devaient constituer l'art des troubadours. Il est à craindre qu'on ne trouve jamais de documents qui établissent d'une façon certaine la vérité de cette conjecture; mais elle me parait avoir pour elle de grandes probabilités.

L'histoire des poètes provençaux présente un frappant contraste avec celle des poètes français leurs contemporains (et aussi des poètes allemands) : de ceux-ci on ne connaît guère

��I. Il faut remarquer aussi que Jaufre Rudel, dans ses chansons, composées avant 1147, montre déjà la subtilité et les raffinements de l'art courtois, et que dans celles de Raimbaud d'Orange, qui ne sont pas de beaucoup posté- rieures, il semble que cet art touche à la décadence; or, pour que l'art né en Limousin, ou tout au moins à l'ouest du domaine méridional, en fût déjà là dans une région aussi éloignée de son lieu de naissance, et où il n'avait dû se propager que lentement, il semble bien qu'il faille admettre une étendue de temps beaucoup plus longue que celle qui sépare Raimbaud d'Orange de Guillaume IX.

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