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LA LITTÉRATURE NORMANDE AVANT l'aNNEXION 83

On peut croire que dès avaut l'établissement des Danois les habitants de la Neustrie avaient développé plus fortement que ceux d'autres régions les caractères qui les distinguèrent plus tard, l'esprit positif et clair, le sens pratique, l'amour de l'ordre et de la règle. Les conquérants du Nord, en se mêlant à eux, en adoptant, comme ils le firent avec une grande rapidité, leur religion, leur langue, leurs institutions et leurs mœurs, ne changèrent pas ces caractères essentiels ; mais ils y ajoutèrent ce qui leur était propre, la hardiesse, l'esprit d'entreprise, le besoin d'expansion qui se traduisit dans les faits par ces con- quêtes extraordinaires où revit la hasardeuse audace des Vikings, dans les idées par une curiosité ouverte de toutes parts ; à l'amour de la règle et de l'ordre, qui répondait à leur forte conception du droit, ils joignirent le sentiment d'indépendance personnelle qui leur était inné.

Je suis obligé de renoncer à vous tracer ici un tableau de ce que fut la Normandie féodale, et même d'omettre tout ce qui s'y est fait, dans la première période de son histoire, pour les arts, dont vous avez ici les plus splendides monuments, pour les sciences, dont la première était alors la théologie, pour les lettres latines. Je dois me borner à ce qui touche la littérature en langue vulgaire. Elle se présente à peu près exclusivement, dans les premiers temps, sous la forme ver- sifiée, mais c'est la prose qui, dans d'autres conditions, aurait été sa forme naturelle, car elle est essentiellenient une littéra- ture d'instruction à l'usage des laïques. C'est là ce qui en fait le trait dominant, et ce trait caractérise le public pour lequel elle était faite autant au moins que les auteurs qui travaillaient pour lui. En ce temps où les livres, copiés à peu d'exemplaires, n'ont qu'une publicité restreinte, les écrivains ne peuvent vivre que des libéralités des riches ; aussi le genre auquel ils s'adonnent est-il l'indice des goûts et des tendances de la classe la plus élevée de la nation. Or de très bonne heure, en Nor- mandie, les seigneurs et même les dames ont voulu s'instruire, et, ne sachant pas le latin, ont prié des clercs, qu'ils récom- pensaient richement, de mettre en trançais des ouvrages qui leur fissent connaître la science ou l'histoire telles qu'on les comprenait alors. Il ne faut pas s'étonner si leur curiosité s'est portée d'ordinaire sur des ouvrages que nous jugeons

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