Page:Mémoires de Louise Michel.djvu/239

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peut pas manger du pain tous les jours. Elle avait empêché son mari de casser les reins à celui qui leur avait refusé crédit en rendant le double dans un an, quand ses enfants se mouraient. Mais les deux autres avaient résisté, ils travaillaient chez stui-là même que le mari voulait abîmer. L’usurier ne payait guère, mais faut bien que les pauvres gens subissent ce qu’ils ne peuvent empêcher !…

Quand elle disait tout cela, de son air calme, j’avais chaud dans les yeux de colère, et je lui disais : Il fallait laisser faire votre mari ! Il avait raison !

Je m’imaginais les pauvres petits mourant de faim, et tout le tableau de misère, qu’elle faisait si navrant qu’on le sentait en dedans de soi ; je voyais le mari, avec sa blouse déchirée et ses pieds nus dans ses sabots, aller supplier le méchant usurier et revenir sans rien, triste, par les chemins. Je le voyais, menaçant, quand les petits furent étendus froids, sur la poignée de paille qui leur restait, et la femme, arrêtant le justicier qui voulait venger les siens et les autres, et les deux frères, grandissant avec ce souvenir, s’en aller travailler chez cet homme ; les lâches !

Il me semblait que s’il était entré je lui aurais sauté à la gorge pour le mordre, et je disais tout