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nière, place Saint-Augustin, était rangé un bataillon d’infanterie, sac au dos, prêt à marcher.

À la porte Ornano, le cortège pouvait être évalué à plus de douze mille personnes.

De temps en temps un cri puissant de « Vive la Commune ! » ou de « Vive la Révolution sociale ! » sortait de cette immense foule.

Arrivé près du pont du chemin de fer de l’Ouest, deux cuirassiers porteurs de dépêches se sont montrés. Comme ce va-et-vient d’estafettes officielles n’est jamais de bon augure, les cris de Vive la Révolution ont redoublé. Les deux cavaliers se sont empressés de se retirer sitôt leur besogne accomplie.

Au boulevard Berthier, devant le bastion 49, se trouvaient rangés une vingtaine d’agents de police commandés par l’officier de paix du XVIIe arrondissement, Florentin, le même qui vient d’être médaillé pour avoir couvert de sa protection le mouchard provocateur Pottery.

Le sieur Florentin s’était sans doute promis de faire merveille et de gagner de nouveaux galons et de nouvelles médailles.

Au moment, en effet, où le char passe devant le poste, le Florentin, suivi de ses hommes, intercepte le boulevard et intime l’ordre de faire disparaître les drapeaux rouges.

D’immenses cris de « Vive la Révolution ! Vive la Commune ! » lui répondent, et les manifestants, faisant bonne garde autour des drapeaux, semblent défier le sauveur de mouchards.

Le citoyen Rochefort s’avance alors vers l’officier de paix, en lui disant :

— Votre attitude constitue une véritable provocation ; tout s’est passé jusqu’ici dans l’ordre le plus parfait ; votre intervention est absolument déplacée.

— J’ai reçu de M. Caubet l’ordre formel d’empêcher la circulation du drapeau rouge, répond Florentin, visiblement intimidé.

— Ces drapeaux rouges dont vous parlez, répond Rochefort, sont des bannières de sociétés qui ont parfaitement le droit de choisir la couleur qui leur convient. Il y en avait aussi, des bannières rouges, derrière le cercueil de Gambetta, et personne n’osa s’opposer à ce qu’elles fussent déployées.

Ces paroles et l’attitude énergique des citoyens présents firent réfléchir le nommé Florentin, qui se radoucit instantanément et prit lui-même, avec ses vingt-cinq hommes, la tête du cortège en avant du corbillard.