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Page:Mémoires de Madame d’Épinay, Charpentier, 1865.djvu/150

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MÉMOIRES DE MADAME D’ÉPINAY.

posa de faire de la musique jusqu’à ce moment. Le premier mouvement fut de l’accepter ; mais M. de Francueil fit remarquer que ma santé pourroit en être altérée. Il prit congé en me demandant permission de venir le lendemain s’informer de la manière dont je m’étois trouvée de cette soirée. Le lendemain, nous soupions ensemble chez madame Darty. Je m’y trouvai indisposée ; les soins et l’inquiétude qu’il me marqua sont au delà de toute expression. Je m’en allai de bonne heure ; je m’attendois qu’il m’offriroit de me donner la main ; il n’en fit rien, et je vous avoue que j’en fus piquée. Mais en arrivant chez moi, je ne fus pas peu étonnée de voir son carrosse qui suivoit le mien ; il descendit, me donna la main jusqu’à mon antichambre seulement. Il s’informa avec les marques du plus vif intérêt de l’état où je me trouvois, et se retira tout de suite, sans entrer dans mon appartement. Toutes ces marques d’égards ne furent point perdues pour lui, et je les sentis vivement.

« Hier il se hasarda à me dire qu’il me soupçonnoit d’avoir du chagrin. J’aurois cru lui manquer en dissimulant. Je vous avouerai même que, pour la première fois de ma vie, j’ai été un peu fausse, car je lui ai beaucoup exagéré la peine que je sentois de la conduite de mon mari, dans la crainte que j’avois qu’il ne me parlât d’amour, ce qui m’auroit obligée à le congédier. — Eh ! pourquoi donc le congédier ? Voilà une inconséquence bien singulière. — Cela est vrai ; car je ne me plais qu’avec lui et avec vous. — Oui, avec moi, surtout quand vous parlez de lui, n’est-ce pas ? — Mais je serai franche ; alors vous me plaisez davantage. — Je l’ai bien vu. Ensuite. — Eh bien ! ensuite ? Voilà tout. L’intérêt qu’il a marqué prendre à mes peines est tout aussi vif que je