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Page:Mémoires de Madame d’Épinay, Charpentier, 1865.djvu/151

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PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE III.

devois l’attendre de la conduite qu’il tient avec moi. Que pensez-vous de tout cela ? — Je pense qu’il est amoureux, et qu’il l’est bien fort, puisqu’il n’ose vous le dire. Je pense encore que vous l’aimez aussi ; et que vous ferez une sottise si vous ne l’écoutez pas. — S’il pouvoit ne m’en rien dire. Nous sommes si heureux à présent ! — Et pourquoi le seriez-vous moins en vous avouant que vous l’êtes ? — Oh ! c’est que je crois qu’il n’est pas possible d’être heureuse quand on a eu un amant. — Et pourquoi cela ? — Par mille raisons. Si j’avois un amant, je voudrois qu’il fût sans cesse avec moi. Si, par prudence ou autrement, il refusoit un seul jour de me voir, je serois dans la plus amère douleur. Si, au contraire, son empressement répondoit au mien, la crainte qu’on ne sût qu’il ne me quitte point, et que l’on en parlât, me causeroit de continuelles alarmes. D’ailleurs M. d’Épinay reviendra un jour. Si, à force de malheurs et de réflexions, il se reprenoit de goût pour moi, ou si, par fantaisie, peut-être… Mais, en bonne foi, pourrois-je refuser ? — Comment, un homme qui vous fait mourir à petit feu, qui a et qui aura toute sa vie, je vous en réponds, une conduite détestable, vous auriez le cœur… ? — C’est un homme qui a fait ma fortune, à qui je dois tout. — Oui, même… — Paix ! ma chère amie, laissons là le passé, et ne disputons point sur une chose qui n’arrivera peut-être jamais… — Eh bien, que feriez-vous ? — J’en serois désolée. Mais sans faire de suppositions : on peut très-bien prévoir que, si un jour j’avois un amant, mon mari viendroit à le savoir. Ou ses reproches m’accableroient, et je ne saurois les soutenir, ou il se croiroit peut-être en droit par là de continuer la vie qu’il mène. — Il n’y a guère de conseils à donner sur de telles incon-