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Page:Mémoires de Madame d’Épinay, Charpentier, 1865.djvu/153

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PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE III.

quelque temps, et jusqu’à ce qu’il soit devenu raisonnable. — Mais s’il m’alloit prendre au mot, et qu’il ne revînt plus ? — Ce seroit une preuve qu’il ne tient pas beaucoup à vous ; et alors il n’y auroit pas grande perte. — Je ne trouverois pas du tout que cela fût une preuve, car, plus il seroit amoureux, et plus il auroit besoin de l’éloignement pour se guérir, s’il étoit bien convaincu que je ne voulusse pas l’écouter. — Justement ; c’est que les hommes ne sont jamais convaincus de cela. — Mais vous dites qu’il a une bonne réputation ; vous avez donc beaucoup ouï parler de lui dans le monde ; on en dit donc du bien ? — On n’en dit pas de mal, et lorsqu’on le nomme, on vante l’agrément de sa société, et cet éloge n’est jamais suivi du mais. D’ailleurs je ne sais aucun détail de son intérieur ; mais il est marié. — Cela est-il bien sûr ? — Je le crois ; il me semble qu’on me l’a dit. Il y a même quelque chose sur sa femme que je ne me rappelle pas. — Voilà ce qu’il faudroit pourtant approfondir, si vous pouviez[1]. — Laissez-moi faire ; mon chevalier me rendra ce service ; il a trois ou quatre chenapans[2] dans sa manche qui savent et qui connoissent tout ce qui existe et tout ce qui se dit dans Paris. — Oui, mais sous quel prétexte ? S’ils alloient savoir

  1. Madame Dupin de Francueil s’appelait Suzanne Bollioud, et était née en 1719. Elle avait trois ans de moins que son mari. C’est madame Dupin, belle-mère de Francueil, qui la lui avait fait épouser ; elle était « bien laide, bien douce, » dit Jean-Jacques, et adorait son mari qui « ne lui rendoit assurément pas l’amour qu’elle avoit pour lui. » Madame de Francueil connut le secret de Jean-Jacques, lorsqu’il eut mis ses enfants aux Enfants trouvés, et on sait qu’il y a dans la correspondance de Rousseau une lettre importante qu’il lui a écrite pour se justifier. Elle est datée du 20 avril 1751.
  2. Entre autres l’excellent Collé, qui était de la société intime du Palais-Royal, et qui a laissé un journal fort agréable et fort instructif dont nous préparons une édition.