Aller au contenu

Page:Mémoires de Madame d’Épinay, Charpentier, 1865.djvu/152

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
134
MÉMOIRES DE MADAME D’ÉPINAY.

séquences. Savez-vous ce que je vois de plus certain dans tout ceci, c’est que vous rendez Francueil très-malheureux ? Vous l’écouterez, parce que cette passion est bien plus établie dans votre cœur que vous ne le croyez. Mais comme ces mouvements sont trop forts pour pouvoir durer, je ne vous donne pas trois mois pour reprendre toutes vos incertitudes ; et au moment où il commencera à se livrer à vous de bonne foi, il vous prendra fantaisie d’écouter ce que vous appelez votre raison, et vous le laisserez là. — Non, non ; vous vous trompez, et vous ne me connoissez pas : si je fais tant que d’aimer Francueil et de me livrer à lui, ce sera pour la vie, à moins qu’il ne change. — Êtes-vous bien sûre de ce que vous me dites ? — Oui, j’en suis très-certaine. — En ce cas, voici le conseil que je vous donne. C’est de l’éprouver quelque temps, afin de juger si son goût pour vous est véritable. — Oh ! voilà ce que je ne ferai point ; car si je me détermine à l’écouter, ce sera certainement tout de suite ; et si je me décide, au contraire, à lui résister, je le congédierai promptement. — C’est précisément ce qu’il ne faut point faire. Quand même vous seriez déterminée à l’écouter, il faut bien se garder de le lui faire connoître. Il faut éprouver s’il est capable de constance ; car, quel est l’homme qui ne s’assujettira pas, pendant quinze jours, pour faire croire à une femme qu’il est amoureux d’elle ? Mais il faut qu’il le soit réellement pour persister, malgré des refus réitérés, pour céder à des caprices. Il faut donc commencer, s’il vous parle de son amour, par lui défendre de prononcer ce mot, l’assurer que vous l’aimez beaucoup comme ami, mais voilà tout, et lui dire que, s’il vous en parle encore, vous serez forcée de l’éloigner de vous, pendant